“May you live interesting times”
Heraklite vous présente ses meilleurs vœux pour l’année 2025. Souhaitons-nous la force, l’intelligence, l’inspiration, la résilience et la créativité pour affronter un monde complexe. Car à n’en pas douter, nous vivons des “temps intéressants”. Sur fond d’aggravation du changement climatique et de dégradation continue du vivant, nous assistons aussi à la remise en cause profonde des institutions internationales et de l’ordre global hérité de la Seconde Guerre mondiale. Une marche vers “l’écologie de guerre” comme la définissait Pierre Charbonnier dès 2022 et qu’il développe dans un livre paru en 2024.
La révision de l’ordre mondial (cf. EIH 22/10/23) portée par des puissances émergentes ou réémergentes comme la Russie de V. Poutine et l’affaiblissement structurel de l’alliance atlantique suite à la réelection de D. Trump (cf. EIH 11/11/24, bis et ter) apporte son lot d’incertitudes stratégiques, et force l’UE à repenser son rôle dans le monde.
En outre, le dynamisme de l’économie américaine et l’agressivité commerciale de Trump, les tensions croissantes de l’économie chinoise et l’essoufflement d’un modèle économique européen mercantiliste dont les difficultés allemandes sont l’exemple, soulignent un peu plus le risque de décrochage sur lequel le rapport Draghi avait sonné l’alarme à l’automne.
Pour l’UE, 2025 sera certainement une année de défis et de dangers. On ne vous infligera pas le cliché “d’une Europe à la croisée des chemins” comme à chaque grande crise existentielle traversée par l’UE, mais une chose est certaine, l’Europe et ses Etats membres vont devoir se confronter en 2025 à quatre instabilités structurelles, qui sont autant de défis.
1. Les déséquilibres politiques intra-européens et les difficultés à maintenir une dynamique d’unité. La crise politique dans laquelle s’enfonce la France depuis la réélection d’Emmanuel Macron en 2022 et surtout après les législatives surprises de 2024 ont précipité la dissolution du leadership français au niveau européen. L’épisode tragi-comique de la désignation du Commissaire français a été perçu par beaucoup d’observateurs comme une illustration de ce recul d’influence. De l’autre côté du Rhin, la fin prématurée de la coalition et les élections anticipées de février s’accompagnent d’une radicalisation des positions, non seulement avec la montée de l’extrême droite déjà inquiétante, mais dans l’ensemble de l’électorat, et particulièrement du probable successeur d’O. Scholz, le conservateur F. Merz. Sans moteur franco-allemand, l’UE doit aussi compter avec l’effritement de l’influence européenne de Pedro Sanchez, prisonnier d’une coalition minoritaire qui dépend des nationalistes catalans et se retrouve incapable de passer un budget depuis deux ans. Là encore, la violence de l’opposition à la Commissaire européenne Teresa Ribera a illustré le recul de l’étoile du “maverick” de l’Europe politique. Les Pays-Bas abandonnés par Mark Rutte (un allié stable du président français) se débattent avec un gouvernement affaibli par une coalition incertaine sous domination de l’extrême-droite.
Il reste deux options pour voir émerger un leadership européen parmi les Etats membres : soit l’Italie si Giorgia Meloni continue de bénéficier d’une faible opposition domestique et parvient à consolider son assise institutionnelle sein de l’UE (son groupe, l’ECR, est le 4e au Parlement européen et elle a réussi à faire investir son candidat à la VP de la Commission). Soit la Pologne du vétéran politique D. Tusk qui occupe à présent la présidence tournante du Conseil de l’UE et promet ambitions et professionnalisme à ses partenaires.
Il se pourrait que l’arbitre de ce nouvel âge du leadership européen se trouve en D. Trump : Meloni a fait le pari d’une relation privilégiée avec le président américain en se rendant dès cette semaine à Mar A Lago. D. Tusk, lui, devra sûrement trancher entre maintenir l’amitié traditionnelle d’un pays historiquement atlantiste et le réalisme de la défense des intérêts européens et polonais, en particulier en matière de sécurité et d’aide à l’Ukraine.
2. La deuxième instabilité qui pèsera sur l’UE en 2025 n’est pas nouvelle : c’est l’aggravation des déséquilibres géopolitiques d’un monde de plus en plus hostile, où les principaux foyers de guerre, du Sahel à l’Ukraine en passant par le Moyen Orient, sont dangereusement proches des frontières européennes. Si l’on ne sait pas encore à quoi pourrait ressembler la paix en Ukraine promise par D. Trump, le danger est grand d’aboutir à un conflit gelé, et une Russie confortée dans sa stratégie agressive de confrontation militaire. La guerre hybride a franchi certains paliers en 2024, et si les opérations de déstabilisation et de désinformation menées par Moscou ont désormais toute l’attention des acteurs européens, elles restent encore très efficaces comme le soulignent l’opération “mains rouges” (bien décortiquée par Médiapart) ou le relai de l’attaque terroriste de Magdebourg en Allemagne.
3. La troisième instabilité concerne les équilibres géoéconomiques. Là encore, il s’agit d’une aggravation des tendances précédentes. Sous la menace du décrochage général et de la difficulté des Européens à répondre à la puissance de la tech américaine se pose la question du modèle économique et régulatoire européen. Dans une analyse au fond, l’ECFR met en lumière les risques liés à une dérégulation accrue et au contrôle des plateformes numériques par des acteurs privés, tout en proposant des mesures pour renforcer l’autonomie technologique de l’UE et préserver ses valeurs démocratiques. Mais la faiblesse de l’UE en matière d’innovation technologique reste structurelle.
En outre, le domaine dans lequel l’UE avait un leadership, celui de la décarbonation et de la transformation des pratiques économiques est menacé par la remise en cause directe ou sournoise du pacte vert. Enfin, le modèle commercial, mercantiliste, européen semble avoir atteint ses limites comme l’illustre le cas du réglement sur la déforestation importée.
4. le quatrième danger pour l’UE concerne ses équilibres institutionnels. Paradoxalement, le seul îlot de stabilité politique, et d’influence au cœur de l’UE, se trouve dans la Hongrie de Viktor Orban, une option de leadership européen particulièrement inquiétante pour les valeurs démocratiques et les libertés fondamentales au socle de l’UE. La pression populiste est générale, et les campagnes électorales en Allemagne, en France, ou plus récemment en Roumanie (cf. EIH 2/12/24) le soulignent. Le basculement droitier du Parlement européen sous la pression de 3 groupes de droite radicale et extrême pourrait se traduire par une influence réduite sur le jeu institutionnel européen et laisser une Commission européenne sans contrepoids politique pour répondre aux principaux défis…
Il paraît que l’Europe se construit dans les crises. Cela n’a rien d’original, au fond, car c’est de crise de croissance en crise d’existence que se construisent les individus et les communautés. Mais il faut pouvoir assimiler pour grandir. Le principal défi de l’UE pour 2025 sera dans sa capacité à grandir à la hauteur des dimensions d’un monde qui n’a plus rien à voir avec celui qu’elle a connu.