GATT ou pas GATT?

GATT ou pas GATT?

21 April 2025 Off By EG

Le plus difficile pour les observateurs extérieurs, et même pour ses propres soutiens comme l’a expérimenté son propre secrétaire au commerce en pleine audition au Sénat le 9 avril, est de suivre et d’évaluer la rationalité des décisions du président américain. Plus que l’Ukraine encore, les retournements successifs sur le commerce et les droits de douane (tariffs) illustrent cette confusion, sur laquelle CNN tente de faire le point

Toutefois, cette dĂ©cision n’affecte que “les tarifs douaniers rĂ©ciproques”, et seulement la partie au-delĂ  des premiers 10 %. Ainsi, rien ne change pour le Royaume-Uni, par exemple, et pour l’UE, les droits de douane passeront temporairement de 20 % Ă  10 %. Les 25 % sur les voitures seront cependant maintenus, de mĂŞme sur l’acier et l’aluminium.  

Sur les produits pharmaceutiques ces nouveaux droits commencent Ă  porter leurs fruits : l’industrie pharmaceutique pourrait ĂŞtre touchĂ©e par la volontĂ© de l’administration Trump de renforcer la production intĂ©rieure. Cette dernière importe actuellement plus de 200 milliards de mĂ©dicaments sur son territoire. Ces industries pourraient cĂ©der Ă  la pression et investir dans la production sur le territoire amĂ©ricain afin d’Ă©viter Ă  leur tour des frais de douanes. 

La question se pose donc : Trump a-t-il vraiment cĂ©dĂ© ? Quel est l’objectif rĂ©el? Les dĂ©sĂ©quilibres commerciaux? La Chine comme le pensent certains analystes Ă  Eurointelligence?

Les dĂ©bats restent ouverts. Avec un peu de recul, on sait que c’est sur les marchĂ©s obligataires devenus dysfonctionnels que s’est nouĂ© le problème : les investisseurs ayant subi de lourdes pertes Ă  la suite de l’effondrement des marchĂ©s boursiers ont dĂ» liquider leurs positions en vendant des obligations.

Le marchĂ© du TrĂ©sor amĂ©ricain est le marchĂ© financier le plus important au monde. Les rendements obligataires se sont orientĂ©s Ă  la baisse en prĂ©vision d’une rĂ©cession induite par les droits de douane. Derrière se jouerait donc autre chose: la domination du dollar sur l’espace Ă©conomique mondial, par exemple. Une contestation commencĂ©e autour des tentatives des BRICS (EIH 2/9/23).

Dans une conversation avec Shahin VallĂ©e pour Le Grand Continent, l’économiste Barry Eichengreen analyse les dĂ©fis posĂ©s Ă  l’hĂ©gĂ©monie du dollar, notamment Ă  cause des politiques Ă©conomiques de Trump. Il Ă©voque l’impossibilitĂ© de remplacer le dollar par l’euro ou le yuan Ă  court terme. La guerre commerciale avec la Chine pourrait aussi nuire Ă  la monnaie amĂ©ricaine, et les efforts pour intĂ©grer des crypto-monnaies comme monnaie de rĂ©serve risquent de causer des dĂ©sĂ©quilibres Ă©conomiques mondiaux. L’euro pourrait prendre de l’ampleur Ă  long terme, mais cela nĂ©cessiterait des rĂ©formes structurelles profondes. On y reviendra sĂ»rement. 

Mais comment rĂ©pondre aux droits de douane trumpiens ? Pour les pays africains, fortement touchĂ©s, et jusqu’à l’absurde pour le Lesotho, la question prend des aspects vitaux. Dans une analyse au fond le Center for Strategic and International Studies (CSIS) analyse les implications des nouveaux tarifs douaniers imposĂ©s sur les pays africains et propose des stratĂ©gies de rĂ©ponse.

Les tarifs affectent presque tous les pays africains, remettant en question les avantages de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), un accord commercial qui offre un accès prĂ©fĂ©rentiel au marchĂ© amĂ©ricain. Parmi les possibilitĂ©s, les auteurs proposent de renforcer l’Accord de Libre-Échange Continental Africain pour consolider un marchĂ© intĂ©rieur africain ; diversifier les exportations et explorer de nouveaux marchĂ©s, notamment au sein des BRICS et avec l’Union europĂ©enne, pour diminuer la vulnĂ©rabilitĂ© face aux fluctuations commerciales amĂ©ricaines ; et enfin, une rĂ©ponse stratĂ©gique aux tarifs.  

CĂ´tĂ© europĂ©en, la stratĂ©gie semble hĂ©siter entre confrontation et accommodement. Par exemple, Italie et Espagne offrent des rĂ©actions contrastĂ©es : le gouvernement italien s’est gardĂ© de s’engager dans une guerre commerciale et Giorgia Meloni privilĂ©gie les nĂ©gociations. Ainsi elle s’est rendue Ă  la Maison blanche le 17 avril.  L’Italie choisit l’ouest. L’Espagne a choisi l’Est : le gouvernement espagnol a rĂ©agi en mettant en place un programme de soutien aux entreprises touchĂ©es, qu’il a nĂ©gociĂ© avec l’opposition. Il s’est aussi rendu au ViĂŞt Nam, puis en Chine pour rencontrer Xi Jinping. Ce retournement de la position europĂ©enne sur la Chine n’est pas un “cavalier seul” de l’Espagne rappelle son ministre des Affaires Ă©trangères.  

PĂ©kin envisage mĂŞme de revitaliser des relations fort tendues depuis quelques annĂ©es et le gel en 2021 de l’accord d’investissement  entre les deux blocs (CAI) (EIH 24/4/23). 

Plus globalement, l’Union europĂ©enne adapte sa rĂ©ponse face Ă  un rapport de force avec des tarifs plancher Ă  10% allant jusqu’Ă  25% pour des secteurs tels que l’acier, l’aluminium et les voitures. Dans le mĂŞme temps, Bruxelles tente de diversifier ses partenariats commerciaux (Mexique, Inde, ThaĂŻlande) pour pallier cette nouvelle dynamique impulsĂ©e par les États-Unis.

Les EuropĂ©ens doivent revoir leur carte du monde, analyse Simon Carraud pour Contexte. Le commissaire europĂ©en Ă  l’économie, Valdis Dombrovskis, a dĂ©clarĂ© lors d’un forum Ă  Washington ne pas renoncer au partenariat UE-USA, espĂ©rant ainsi lever les droits de douane de 25% avec un nouvel accord. Maroš Ĺ efÄŤoviÄŤ, commissaire europĂ©en au commerce, avait dĂ©clarĂ© que Bruxelles restait dĂ©vouĂ© Ă  une “solution mutuelle”, dĂ©montrant une approche plus diplomatique que frontale. Une proposition de tarifs nuls sur le secteur industriel avait Ă©tĂ© refusĂ©e par Washington, demandant une part plus importante de l’importation du gaz en Europe. 

La France, dans ce contexte, doit revoir sa ligne politique sur les accords du Mercosur car ceux-ci permettraient de stimuler les exportations françaises en ouvrant un marchĂ© de plus de 270 millions de consommateurs, malgrĂ© des rĂ©ticences face Ă  la condition des agriculteurs français. Enfin, la hausse Ă  145% des tarifs douaniers chinois fait craindre Ă  l’UE un dĂ©versement de ces produits initialement prĂ©vu pour l’export aux USA.  

De plus, le FMI indiquait que la croissance mondiale est impactĂ©e par ce bras de fer douanier marquant une forme de reset du système Ă©tabli depuis 80 ans. Le FMI alerte sur le fait que cette dynamique accroĂ®t les chances de crises financières, que les prĂ©visions de croissance mondiale pour 2025 sont passĂ©es de 3,3 % Ă  2,8% et que cette instabilitĂ© pourrait fragmenter les chaĂ®nes d’approvisionnement mondiales.