
EU vs GOOGLE – Nouveau Round
C’était la face cachĂ©e des “accords” de Turnbury (EIH 25/8/25 et bis) : les relations entre l’UE et l’administration Trump sont particulièrement mauvaises – aussi – Ă cause de la lĂ©gislation europĂ©enne qui cherche Ă encadrer l’activitĂ© des gĂ©ants de la tech sur le sol europĂ©en – le premier marchĂ© pour Facebook, X et autres services numĂ©riques.
Sans nuance, D. Trump accuse l’UE de légiférer de façon discriminatoire envers les entreprises tech américaines via le DSA et le DMA. Il estime que ces règles imposent des coûts excessifs, restreignent la liberté d’expression et donnent un avantage injuste aux acteurs européens. Et il menace de représailles : tarifs douaniers, restrictions à l’exportation, voire sanctions contre les responsables politiques européens.
De son côté, l’UE défend son droit souverain à réguler les activités numériques sur son territoire. Elle souligne que ses lois s’appliquent de façon non-discriminatoire à tous les opérateurs (quelle que soit leur origine). Et ce, dans le respect de ses valeurs démocratiques et en vertu d’une interprétation rigoureuse de l’Etat de droit.
C’est dans ce contexte explosif que l’Union européenne a infligé le 5 septembre à Google une amende record de 2,95 milliards d’euros pour abus de position dominante dans l’adtech (publicité en ligne, un marché où l’entreprise américaine contrôle à la fois les outils côté éditeurs (DFP), côté acheteurs (Google Ads, DV360) et la place de marché centrale (AdX).
Que reproche l’UE Ă Google Ă travers l’amende record infligĂ©e au gĂ©ant de la Tech? Selon la Commission, l’entreprise a systĂ©matiquement favorisĂ© son propre ad-exchange (AdX) et son serveur publicitaire (DFP), verrouillant le marchĂ© au dĂ©triment de concurrents et Ă©diteurs.
En effet, selon l’analyse du site dédié “Concurrences.com”, Google a systématiquement favorisé AdX en lui communiquant l’information des meilleures offres concurrentes et en orientant artificiellement le trafic de ses propres outils vers sa plateforme. Google renforce ainsi son rôle central et sa capacité à prélever des commissions élevées. Dès lors, Google a verrouillé les marchés de l’intermédiation publicitaire en exploitant son intégration verticale et en éliminant toute contestabilité effective.
Ces pratiques, qualifiées d’autopréférence abusive, ont faussé la concurrence depuis 2014, en violation des règles européennes issues de l’article 102 du TFUE.
Au delà de la sanction, Bruxelles cible les conflits d’intérêts structurels au cœur du modèle Google. En effet, la décision oblige l’entreprise à proposer, sous 60 jours, des mesures pour y mettre fin. La Commission laisse entendre que seule une cession (divestiture) de certaines activités pourrait être réellement efficace. L’exécutif européen ne semble plus se contenter d’amendes mais se découvre un appétit pour le démantèlement des géants américains.
Derrière l’annonce de l’amende Google qui prétend à la démonstration de force depuis quelques années déjà , l’examen du timing révèle surtout une fragilité politique : la publication de la décision a été retardée face aux menaces explicites du président américain de représailles commerciales si Bruxelles frappait un champion de la Silicon Valley. Cette prudence illustre la tension croissante entre l’ambition européenne d’affirmer une souveraineté numérique et le risque de guerre commerciale transatlantique. L’application des règles contre les acteurs de la Tech américaine peut donc basculer en incident diplomatique.
Sur le plan juridique, Bruxelles innove à mi-chemin : une sanction pécuniaire lourde mais absorbable pour Google, dont les revenus publicitaires dépassent 200 milliards $ annuels. Google doit, de surcroît, corriger ses pratiques rapidement, sous peine de remèdes structurels, renvoyant à l’éventualité d’une séparation forcée de ses activités publicitaires.
En filigrane, la Commission veut démontrer que son action va au-delà de simples amendes. Après les précédents Android et Search, ce dossier Adtech se situe au cœur du modèle économique de Google. Les observateurs rappellent toutefois que sans démantèlement ou obligations fermes d’accès non-discriminatoire, le risque est que Google ajuste à la marge, multiplie les recours judiciaires et poursuive ses pratiques sous d’autres formes.
Au fond, l’Europe joue une partie à double front où se mêlent Etat de droit et équilibres géopolitiques.
En interne, en consolidant son rĂ´le de gendarme du numĂ©rique avec des outils antitrust et le DMA, l’Union crĂ©dibilise sa capacitĂ© Ă contrĂ´ler des acteurs globaux. Comme la dĂ©cision qui affecte Zalando. L’entreprise d’e-commerce vient de perdre son recours contre la Commission europĂ©enne, confirmant sa classification en tant que « très grande plateforme en ligne » selon le Digital Services Act (DSA). Cette dĂ©cision souligne que mĂŞme les distributeurs hybrides doivent se conformer aux règles strictes de modĂ©ration des contenus illĂ©gaux et nuisibles. Elle marque un signal fort de la part des rĂ©gulateurs europĂ©ens, dĂ©terminĂ©s Ă applique les exigences du DSA Ă l’ensemble des acteurs du marchĂ©.
Sur sa façade externe, en affrontant la réalité géopolitique d’une Amérique prête à protéger ses champions technologiques comme des actifs stratégiques, Bruxelles affirme son autonomie.
En sanctionnant Google, mais en temporisant face aux pressions de Washington, elle révèle toutefois la fragilité de cet équilibre.