
Face à Trump
Winds of Change
Il fallait s’y attendre. Malgré leurs espérances, souvent confondues avec des analyses, de la sphère médiatique et politique européenne, les Européens doivent désormais composer avec le retour d’une administration américaine ouvertement hostile à leurs intérêts et à leur vision du monde. Hélas, comme le notait Mark Leonard de l’ECFR quelques semaines auparavant, il n’est pas sûr que l’UE soit prête stratégiquement pour faire face aux évolutions profondes du positionnement américain dans le monde.
Si les leçons du premier mandat Trump n’étaient pas encore bien comprises, le second pourrait s’avérer plus brutal encore. Elu au vote populaire (le premier Républicain depuis Bush en 2004) et vainqueur dans l’ensemble des Etats dits “clés”, la victoire de Trump n’est plus le simple accident d’une trajectoire mal évaluée comme en 2016.
Il s’agit d’un mouvement profond, ancré dans une réalité sociale (symboliquement incarnée par cette chanson folk très populaire dont le Grand Continent livre l’analyse). Les démocrates américains – comme une grande partie des élites européennes – semblent s’être laissés complètement déconnecter, comme le souligne cette analyse de Mediapart.
Outre une réelle légitimié populaire et institutionnelle, D. Trump et les Républicains disposent en outre du plein contrôle des institutions : le Sénat, potentiellement la Chambre, et la Cour suprême dont il devrait pouvoir consolider la majorité conservatrice avec les prochaines nominations.
Ce n’est pas seulement D. Trump que les Européens doivent affronter. C’est une autre Amérique que celle à laquelle ils ont été longtemps habitués.
Le vent de l’histoire souffle de plus en plus fort.
Trump vs l’économie européenne
Visible dès le lendemain de l’élection, la baisse des investissements en Europe au profit des Etats-Unis inquiète particulièrement l’Irlande, largement dépendante des impôts sur les profits d’une poignée d’entreprises américaines, principalement des Big Tech. La politique “America First” de Donald Trump est une épée de Damoclès au-dessus des revenus fiscaux pour Dublin, qui se prépare déjà pour une nouvelle crise de l’emploi.
D. Trump n’a pas caché durant sa campagne électorale qu’il n’épargnerait pas l’Europe, et il pourrait dès son investiture employer des tactiques d’intimidation afin d’inciter les entreprises américaines à payer leurs impôts aux Etats-Unis, y compris sur leur revenus à l’étranger.
Déjà fortement en difficulté devant les évolutions structurelles du marché et la concurrence chinoise (cf. EIH 23/9/24) le secteur automobile européen risque d’être durement touché. (voir aussi EIH de cette semaine). Pour éviter d’être frappé de plein fouet par les droits de douane dont Trump a fait l’argument central de sa campagne électorale, les entreprises européennes ou américaines basées en Europe devront songer à relocaliser leur production aux Etats-Unis. Amorcée avec le vote de l’IRA sous J. Biden (cf. EIH 13/3/23), une accentuation de la désindustrialisation de l’UE au profit des Etats-Unis s’annonce à l’horizon.
De plus, on peut prévoir une ère de dérégulation sur l’intelligence artificielle et la concurrence est largement espérée des grosses entreprises de la Silicon Valley
Ceci renforcerait la bataille des régulations et de protections des données que se mènent entreprises américaines et institutions européennes.
Chantage, deals et trahisons
Comme le titre The Economist, les alliés de l’Amérique se préparent “aux chantage, deal et trahisons”. Un mauvais vent souffle à nouveau sur l’alliance transatlantique. En février dernier, D. Trump alors candidat avait déjà déclenché une première vague d’inquiétude en annonçant à ses supporters enthousiastes lors d’un meeting qu’il laisserait la Russie attaquer les alliés européens de l’OTAN, s’ils ne consacraient pas 2% de leur PIB au budget défense. Le candidat républicain était revenu sur ses propos le mois suivant, mais sans affirmer catégoriquement que les pays européens dépensant moins de 2% de leur PIB étaient assurés du soutien américain.
Alors qu’une majorité de pays de l’UE consacrent pour l’instant moins de 2% de leur PIB à la défense, Trump envisage de monter à la barre otanienne à 3%…
Face à la remise en cause des solidarités dans l’OTAN, le moment est venu de reprendre avec sérieux les initiatives de défense européenne, pense-t-on à Paris et Berlin. Optimistes, certains estiment que D. Trump est une chance pour la défense européenne, comme l’ancien Premier Ministre Italien, Enrico Letta, auteur d’un rapport sur le marché intérieur qui prône entre autres l’intégration des industries de défense.
Orbanisation
L’effondrement de la coalition allemande est peut-être une bonne nouvelle pour certains, mais elle déstabilise un peu plus l’ordre politique du continent. Avec en outre un président français affaibli, un gouvernement espagnol aux prises avec une fragile majorité qui dépend des indépendantistes catalans, une scène politique de plus en plus polarisée et dominée par les forces populistes d’extrême-droite: l’Union Européenne est-elle équipée pour faire front commun à une nouvelle présidence de Donald Trump ?
Pierre Vimont, ancien représentant de la France auprès de l’Union européenne et ambassadeur à Washington DC, en doute. Mais le ministre des affaires étrangères polonais a immédiatement annoncé que son pays était prêt à rallier l’Europe derrière la Pologne pour traverser ensemble les quatre prochaines années. La Pologne prendra d’ailleurs la présidence du Conseil de l’UE en janvier 2025.
Pour le moment, le président du Conseil de l’UE, Viktor Orban, a sablé le champagne à la nouvelle de la réélection de Trump (cf. EIH 13/10/24). Le contraste et les désaccords au sein de l’UE ont rarement été si prononcés : les mauvais élèves de l’Etat de droit européen, les forces qui surfent sur l’insurrection populiste en l’Europe, sortent renforcées du retour à la Maison Blanche de Donald Trump.
Outre Viktor Orbán, qui n’a jamais caché son soutien à Donald Trump et sa relation privilégiée avec lui, on trouve le premier ministre slovaque Robert Fico, dont le parti populiste est similaire à celui d’Orban. On trouve aussi le “Trump des Pays-Bas” Geert Wilders qui a d’ailleurs récemment proposé la création d’un mini-espace Schengen remettant en question la libre circulation au sein de l’UE. Atlantiste sans faille, la première ministre italienne Giorgia Meloni est même qualifiée d’”interlocutrice naturelle”.
A l’heure actuelle, seule Ursula Von der Leyen pourrait peut-être s’imposer pour mener l’Europe sous un front uni. L’hypothèse est avancée par Mujtaba Rahman, responsable du département Europe du groupe Eurasia. Il en va de même dans Foreign Affairs, qui souligne que la réélection de Donald Trump pourrait être l’opportunité de forcer l’UE à développer son autonomie stratégique, puisqu’elle ne pourra plus compter sur son allié instable.