
EuroNullius
“Qui sauve son pays ne viole pas la loi”. Peut-on opposer démocratie et Etat de droit ?Nombreux sont ceux qui prétendent qu’un mandat populaire les exempte de respecter les règles communes.
Depuis 2010, la rĂ©fĂ©rence en la matière est hongroise. Pour Viktor Orbán, le peuple a tranchĂ© en votant pour lui. Donc les institutions (justice, presse, cour constitutionnelle) ne doivent pas entraver la mise en Ĺ“uvre de sa politique. L’État de droit est pour lui l’outil des Ă©lites libĂ©rales pour freiner la volontĂ© populaire.
Une ligne partagĂ©e par l’ensemble des forces politiques extrĂ©mistes ou radicales, comme l’AfD allemande, qui se pose en porte-voix du “peuple rĂ©el” contre le système “. Il a trouvĂ© en JD Vance ou E. Musk des avocats de poids (EIH 6/1/25).
Le mandat populaire serait-il supérieur aux règles de droit ? C’est exactement ce que prétendent le président américain et son allié milliardaire, seigneur de la Tech en charge de démanteler l’Etat fédéral, furieux des jugements qui rappellent l’illégalité de ses actions. Une attaque sans précédent sur l’Etat de droit américain, notent les juges et les observateurs.
A ce chœur de la remise en cause générale, par des forces d’opposition et des gouvernements, y compris l’un des plus puissants et des plus emblématiques d’une certaine idée de la liberté et de la démocratie, s’est joint pour soutenir Marine Le Pen : la Russie de V. Poutine, la Hongrie de V. Orban (en mode trolling “je suis Marine”), et toute une partie de la classe politique française.
Considérant dans le sillage de Marine Le Pen que la peine d’inéligibilité immédiatement applicable à laquelle elle était condamnée était un “viol de l’Etat de droit” et un “jour funeste pour la démocratie”. Ils sont nombreux, à droite, comme le ministre de l’Intérieur qui sans vergogne ni sens du droit accuse des “juges rouges”, ou à gauche, où le leader de la France insoumise a étalé son talent pour l’ambivalence en confondant justice et démocratie, et même jusqu’au Premier ministre ancien parangon de la moralisation de la vie publique. Ils s’émeuvent du jugement qui reconnaît la culpabilité du RN, de sa cheffe historique et de nombreux cadres.
Rappelons qu’a été prouvé un détournement de fonds publics de plus de 4 millions d’euros au préjudice du Parlement européen et donc des contribuables européens. Les faits remontent à 2015, 29 assistants parlementaires étaient soupçonnés de percevoir une rémunération du Parlement européen sans y travailler. Ces personnels, payés par le Parlement européen, manifestent un abus de confiance de la part du parti pendant plusieurs années.
On appelle ça l’inversion accusatoire. Dans la vie quotidienne, c’est le procédé de manipulation le plus répandu chez les pervers narcissiques et les managers abusifs. Dans la vie politique, on le retrouve à la base des pratiques des mouvements et des régimes autoritaires : l’empire galactique est là pour restaurer la paix et la prospérité dans la galaxie. Elle s’accompagne toujours d’un processus de victimisation.
L’exemple de Viktor Orban est un cas d’école. Outre de l’Etat de droit, le Premier Ministre hongrois abuse des fonds européens estimait l’année dernière le Parlement européen, et il est régulièrement mis en cause pour ses détournements de fonds européens qui alimentent un système de corruption nationale.
Il se prĂ©sente rĂ©gulièrement comme une victime de l’UE et des juges. Dans la mĂŞme veine, le Premier ministre tchèque A. Babis s’Ă©tait illustrĂ© dans la captation des fonds agricoles Il Ă©tait Ă l’époque “libĂ©ral”, et membre du groupe Renew. Toutefois, Babis Ă©tait dĂ©jĂ trumpiste dans la remise en cause de l’Etat de droit dont il se considère comme une victime. Hasard des trajectoires? aujourd’hui son parti ANO2011 est membre du groupe d’extrĂŞme droite Patriots for Europe au Parlement europĂ©en.
Quant au RN, on peut au contraire considérer qu’au vu des faits, il n’est pas abusif de demander à celles et ceux qui sont en charge des destinées communes et surtout des fonds publics d’avoir un comportement irréprochable en la matière.
L’argent européen semble n’appartenir à personne.
Cette condamnation est pourtant loin d’être une surprise. Le parquet général de Paris avait été saisi, en mars 2015, d’une demande émanant du Parlement européen. Les services financiers du Parlement européen avaient lancé une alerte à propos de 29 assistants, rémunérés par eux tout en travaillant exclusivement pour le FN sur le territoire français.
L’office européen anti-fraude (OLAF), avait été saisi en parallèle. Ainsi, le président du Parlement européen de l’époque, Martin Schulz, avait accompagné cette initiative d’une lettre adressée à la ministre française de la justice, Christiane Taubira.
Le parquet de Paris a ensuite ordonné une enquête préliminaire pour abus de confiance par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF).
L’enquête avait été marquée par quelques maladresses des cadres frontistes, dont Florian Philippot. L’ancien président et la présidente d’alors ont entre temps été condamnés par le Tribunal de l’UE pour emploi fictif. Le détournement de fonds publics est difficilement discutable. Ce qui crée des tensions est la sanction d’inéligibilité d’une candidate “présidentiable”.
Le Club des juristes explique qu’elle peut naturellement faire appel, puis, le cas Ă©chĂ©ant, se pourvoir en cassation. Le recours en appel dĂ©posĂ©, une date est dĂ©jĂ annoncĂ©e pour l’étĂ© 2026. Contrairement Ă la procĂ©dure civile oĂą l’exĂ©cution provisoire est de droit commun, il n’existe pas de recours spĂ©cifique contre l’exĂ©cution provisoire en droit pĂ©nal. La question se pose de savoir comment interprĂ©ter ce vide.
On notera que les réclamations quant à une justice exigeante varient en fonction des circonstances.