
INTERCONNEXIONS
On ne sait toujours pas avec certitude ce qui a entraĂ®nĂ© les blackout massifs en Espagne et au Portugal le 28 avril dernier, sinon qu’il ne s’agissait pas d’une cyberattaque par un acteur hostile. MystĂ©rieux, ces blackouts ont Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©s par deux Ă trois coupures brusques simultanĂ©es de centrales (sous-stations) dans le sud-ouest de l’Espagne, selon l’opĂ©rateur REE et la Commission europĂ©enne via Teresa Ribera. Ces arrĂŞts ont entraĂ®nĂ© une chute rapide de la frĂ©quence du rĂ©seau, activant les systèmes de protection et causant une cascade d’interruptions. Parmi les hypothèses, l’intermittence des Ă©nergies renouvelables, très prĂ©sentes dans le mix Ă©nergĂ©tique espagnol – jusqu’à 80 % de l’électricitĂ© – mais surtout, le rĂ©seau de la pĂ©ninsule souffre d’un dĂ©ficit d’inertie mĂ©canique liĂ© aux intermittences. Â
La perte soudaine de production (2 200 MW), aggravĂ©e par cette forte dĂ©pendance aux renouvelables s’est traduite par une dĂ©connexion en chaĂ®ne, provoquĂ©e par les mĂ©canismes de protection du rĂ©seau.
Isolé du reste du continent, le réseau ibérique reste une « île énergétique » : seuls ~3 % de capacités interconnectées avec le reste de l’Europe (vs 15 % recommandés). Cet isolement a empêché un apport externe immédiat de stabilité et isolé les perturbations, rendant les oscillations locales irréversibles à court terme.
Le Grand Continent dĂ©taille les aspects les plus saillants de cet Ă©pisode et note justement l’importance Ă la fois du nuclĂ©aire et de la connexion aux rĂ©seaux voisins – en particulier du rĂ©seau français, qui fait obstacle pour des raisons Ă©conomiques, Ă l’interconnexion entre ses voisins.
Une situation qui rappelle l’objectif de la Commisison europĂ©enne d’atteindre une capacitĂ© d’interconnexion de 15 % d’ici 2030. Mais la capacitĂ© d’interconnexion est d’environ 2,8 %, ce qui empĂŞche le transfert d’Ă©lectricitĂ© entre la pĂ©ninsule et la France afin de s’adapter aux changements imprĂ©vus de l’offre et de la demande d’un cĂ´tĂ© ou de l’autre. Une situation que les gouvernements espagnol et surtout portugais ont dĂ©noncĂ©e. Selon le ministre portugais de l’Énergie, la raison pour laquelle ces interconnexions sont bloquĂ©es est de protĂ©ger l’industrie Ă©nergĂ©tique française, notamment ses rĂ©acteurs nuclĂ©aires.
Ce qui rappelle le rôle de la France et son activité très intense depuis 2017 (EIH 2/9/24) pour favoriser la place du nucléaire dans le mix énergétique européen.
L’intĂ©rĂŞt renouvelĂ© pour le nuclĂ©aire prend place dans le contexte de la rĂ©flexion de la Commission europĂ©enne pour les objectifs intermĂ©diaires de 2040 sur le chemin de la neutralitĂ© carbone en 2050. Le site Contexte revient sur le retour en grâce d’une filière longtemps sujet de divisions profondes au niveau europĂ©en. Longtemps relĂ©guĂ©e en marge de la politique Ă©nergĂ©tique de l’UE, l’industrie nuclĂ©aire tente de se faire entendre Ă Bruxelles. L’association professionnelle NuclearEurope subit la pression de ses membres qui lui demandent de renforcer sa visibilitĂ©, de moderniser son lobbying et de sortir de l’ombre de la France, mais surmonter le scepticisme reste un combat difficile.
C’est dans ce contexte que le débat sur les objectifs pour 2040 se pose. Le Danemark, qui prendra les rênes du Conseil de l’UE le 1ᵉʳ juillet, est favorable à un objectif de réduction des émissions de 90 % d’ici à 2040.
C’est aussi le chiffre avancĂ© par la Commission europĂ©enne. Un chiffre partagĂ© par les principaux acteurs de l’énergie en Europe : plus de 150 entreprises et investisseurs appellent l’UE Ă fixer un objectif de rĂ©duction des Ă©missions de 90 % d’ici Ă 2040 par rapport Ă 1990 dans une lettre commune. La Commission europĂ©enne prĂ©voit de prĂ©senter une proposition lĂ©gislative visant Ă inscrire un objectif pour 2040, le 2 juillet, selon Politico. L’objectif intermĂ©diaire en matière de CO2 se situera donc Ă mi-chemin entre l’objectif juridiquement contraignant de 55 % d’ici 2030 et la neutralitĂ© climatique d’ici 2050.
Après les reproches de surrèglementation du Green Deal au cours de la dernière lĂ©gislature, la Commission semble rechercher un système plus Ă©quilibrĂ© avec des règles moins strictes. Peut ĂŞtre en tirant parti du marchĂ© international des Ă©missions de CO2, avec un système qui fonctionnerait de manière similaire Ă celui qui existe pour le transport aĂ©rien. Dans ce dernier, les passagers paient pour compenser les Ă©missions de leurs voyages en avion avec de l’argent qui est ensuite investi dans des projets de rĂ©duction des Ă©missions de CO2 ailleurs. Une solution qui pourrait ouvrir la voie Ă une dĂ©carbonation limitĂ©e Ă l’Europe et des effets secondaires nĂ©fastes sur les pays tiers.
Cette voie a d’ailleurs été critiquée par anticipation par le Comité scientifique consultatif européen sur le changement climatique (ESABCC).
Dans un rapport publié le 2 juin, il estime que malgré leur rentabilité apparente, ces crédits pourraient surtout détourner les investissements nécessaires à la transition énergétique intérieure. Le rapport propose plutôt de développer des technologies de capture de CO₂ domestiques  : le captage direct et le stockage souterrain ont un rôle crucial à jouer.
Une stratégie pour renforcer la crédibilité climatique de l’UE avant COP30 prévue à Belem cet automne.