
EU-RAILS
Ce retour de vacances est une bonne occasion pour se pencher sur l’état du train dans nos dĂ©placements, en particulier les longues distances couvertes par le train de nuit. Selon les chiffres d’Eurostat (de 2023), les Autrichiens et les NĂ©erlandais sont les plus assidus au train avec respectivement 13,6 % et 12% de la distance totale parcourue par des voyageurs en train. La France suit de peu (11,1 %) et l’Allemagne n’est que 6e avec moins de 10% – et un rĂ©seau sous le feu des critiques pour sa faillite et ses retards, loin de l’image “deutsche qualität” qu’on s’en fait. Tous les pays mĂ©diterranĂ©ens, en revanche, sont en dessous de la moyenne europĂ©enne (8,4%) mĂŞme si on peut deviner qu’en Grèce (0,5 %) les trajets se font plutĂ´t en ferry…
Néanmoins, selon les statistiques de la Commission (2022), l’avion reste dominant dans les trajets des Européens pour leurs vacances avec près de 40% des trajets derrière la voiture individuelle reste évidemment le principal moyen de transport. Car le train reste nettement plus cher.
Un rapport de l’ONG Greenpeace “Flying Cheap, Paying Dear” d’aoĂ»t 2025 met en lumière les distorsions tarifaires entre le train et l’avion en Europe. Sur 109 trajets transfrontaliers analysĂ©s, seuls 39 % Ă©taient moins chers en train, malgrĂ© son empreinte carbone bien infĂ©rieure. Les compagnies aĂ©riennes bĂ©nĂ©ficient d’exemptions fiscales (pas de TVA, pas de taxe sur le kĂ©rosène), tandis que les trains sont soumis Ă des taxes Ă©nergĂ©tiques, Ă la TVA et Ă des pĂ©ages d’accès aux voies. Le rapport appelle Ă la fin des subventions pour l’aviation, Ă l’introduction de “climate tickets” abordables et Ă une harmonisation tarifaire europĂ©enne pour favoriser le rail.
Le développement de la concurrence sur les réseaux ferroviaires nationaux s’accompagne de nombreuses inquiétudes (dumping social et précarité, dilution des responsabilités, faibles investissements, sécurité, etc.). Il pourrait cependant faciliter le développement des interconnexions entre les différentes grandes villes et capitales du continent.
Sur le modèle proposé par le think tank danois “21st Europe” : un réseau ferroviaire paneuropéen à l’image d’un métro, reliant 39 villes (y compris au Royaume-Uni, Turquie, Ukraine) d’ici 2040. Avec des trains grande vitesse 300–400 km/h, jusqu’à 30 % plus rapides, un confort repensé, des gares hubs culturels, sur un modèle public-privé, respectant l’objectif zéro émission 2050.
La construction d’un réseau à grande vitesse à dimension européenne n’est pas le seul enjeu des interconnexions continentales. Le Monde revient sur une étude de l’ONG Réseau Action Climat (RAC) qui souligne une renaissance des trains de nuit en France : en 2024, plus d’un million de voyageurs ont utilisé ce mode de transport, un niveau comparable à 2014-2015 malgré une offre réduite, avec un taux d’occupation moyen de 76 %, culminant à 86 % sur la ligne Paris-Toulouse. Ce regain montre un intérêt croissant pour un transport durable et économique, surtout dans les territoires moins bien desservis. Le rapport plaide pour un renouvellement du matériel via l’appel d’offres étatique, offrant une opportunité de renforcer et développer durablement le réseau
Cependant pour l’international, les obstacles restent encore substantiels. Lancé en grande pompe par European Sleeper une start-up belgo-néerlandaise, au mois de mars dernier, la liaison Bruxelles-Venise s’est heurtée au refus des autorités italiennes d’accorder l’autorisation de circuler sur le sol italien. Le train a dû s’arrêter à Innsbruck, à 313 km de Venise, et les passagers ont été transférés dans un autre train pour terminer le voyage à l’heure prévue. Une mésaventure qui illustre les défaillances de coordination européenne dans le ferroviaire transfrontalier. Autre exemple, l’opérateur ferroviaire autrichien ÖBB a réduit sa commande de trains de nuit Nightjet de 33 à 24, préférant allouer des ressources aux trains de jour Railjet 2.
Ce recul reflète les dĂ©fis persistants du cadre europĂ©en : manque de coordination des travaux d’infrastructure nocturnes, difficultĂ©s d’attribution des sillons, tarifs d’accès Ă©levĂ©s, obstacles Ă l’homologation transfrontalière, et absence de soutien ciblĂ©. Un mal pointĂ© dès 2018 par une Ă©tude de la Commission europĂ©enne identifiant 365 liaisons ferroviaires transfrontalières sous-exploitĂ©es ou abandonnĂ©es, parmi lesquelles 176 manques critiques (“missing links”) ont Ă©tĂ© recensĂ©s. Ă€ l’issue des consultations avec parties prenantes et autoritĂ©s compĂ©tentes, 48 liaisons, dont 9 Ă la frontière française, ont Ă©tĂ© jugĂ©es comme projets “potentiellement bĂ©nĂ©fiques”. L’étude examine la faisabilitĂ© financière et d’investissement de ces connexions et formule des recommandations concrètes pour en faciliter la rĂ©alisation et lever les obstacles Ă leur mise en Ĺ“uvre effective.
Un post du blog Mediarail analyse la transformation du secteur ferroviaire en Europe, en insistant sur sa structuration encore très nationale malgré les ambitions transfrontalières européennes. Il aborde les bouleversements institutionnels des années 1980 (transition vers des entreprises ferroviaires publiques, ségrégation des missions, contraintes budgétaires) et l’évolution des comportements voyageurs, avec le développement de la grande vitesse, de la numérisation, et un regain d’intérêt pour les trains de nuit. Il met aussi en évidence les défis d’infrastructure, la concurrence avec l’aérien, et l’importance d’un réseau ferroviaire intégré et durable, tout en pointant la nécessité d’investissements et de coordination.
Un projet de règlement européen pour améliorer la coordination a été présenté en 2023, mais reste bloqué par les grands opérateurs et les réticences des Etats membres. L’Europe du rail n’est pas encore pour tout de suite.