Les nouveaux habits nationaux du budget européen

Les nouveaux habits nationaux du budget européen

8 September 2025 Off By EG

C’est une petite révolution, qui pourrait bien changer la face de l’UE des prochaines années. A la veille des congés d’été, la Commission européenne a publié sa proposition de cadre financier pluriannuel – CFP) pour la prochaine période budgétaire (2028-2034). Une période qui court traditionnellement sur 7 années d’exercice supérieure aux mandats de la Commission et du Parlement, afin de fixer à long terme les priorités de l’UE et surtout prendre le temps d’arriver aux indispensables compromis. 

Depuis les années 1970, ce budget est plafonné autour de 1%. Malgré quelques ressources propres (environ 12%), il repose essentiellement sur des contributions nationales, dont le montant est source récurrente de communication populiste, comme pendant le Brexit.  

En outre, comme ce sont les Etats membres qui mettent la main au portefeuille, les négociations peuvent être particulièrement âpres. En 2013, en pleine fièvre austéritaire, elles avaient abouti même à un recul historique du montant du budget. Une étude du PE de 2024 retrace l’histoire du budget de l’UE avec pédagogie.

Avec une proposition proche de 2 000 milliards d’euros, le projet de CFP 2028-2034 monterait à 1,26 % du revenu national brut de l’Union européenne.  

Sur le papier, c’est le montant le plus élevé à ce jour, et il fait écho aux efforts particuliers du CFP de la préparation à l’entrée dans l’euro (1993-1999). Cependant, il n’est en fait que de 1,15 % si l’on retranche le remboursement de la dette Covid.

La vraie révolution de cette proposition est la refonte profonde de l’architecture du budget, en simplifiant la structure actuelle. Ainsi, les 52 programmes existants seraient réduits à 16, et répartis selon trois ou quatre rubriques centrales. Parmi eux, les plans nationaux et régionaux de partenariat (PNER).

La proposition met l’accent sur la flexibilité, avec la possibilité d’ajuster rapidement le budget en cas de crise ou de besoins nouveaux. Elle repose aussi sur des programmes rationalisés, plus accessibles pour les citoyens, entreprises et autorités locales. L’idée est aussi de financer de nouvelles priorités, comme la politique industrielle et les programmes de défense ou l’espace, au détriment probable des aides agricoles.  

L’obsession de ces derniers semestres pour la compétitivité se traduit par un Fonds européen de compétitivité censé soutenir l’industrie propre, l’innovation, la décarbonation et harmoniser les investissements fragmentés. Enfin, de nouvelles ressources propres sont considérées (sur le tabac, le numérique ou la grande distribution).

Le site Contexte se penche sur les aspects climats et énergie : 35 % sont fléchés vers le climat et la biodiversité (~700 Mds €). Le Connecting Europe Facility (CEF) voit son enveloppe énergie quintupler à 29,9 Mds €. Il finance les réseaux électriques, interconnexions, stockage et hydrogène. Le Fonds de compétitivité (409,3 Mds €), fusionnant Horizon Europe, LIFE et le Fonds d’innovation, consacre 67,4 Mds € à la décarbonation industrielle et aux technologies net-zéro. Il inclut désormais le nucléaire (fission et fusion ITER). Le Fonds social pour le climat (50,1 Mds €) et le Just Transition Fund sont intégrés dans un cadre élargi de cohésion et agriculture. Des recettes carbone (ETS1, CBAM) devraient générer ~11 Mds €/an pour alimenter ce budget.  

La Commission promet un suivi renforcé des dépenses vertes, après des critiques de la Cour des comptes. Toutefois, les États membres pourraient réduire ces ambitions lors des négociations. Les négociations ne font que commencer. 

Malgré l’été qui s’avançait, la proposition de budget de l’UE par la Commission a immédiatement fait réagir. Le Monde fait le tour des contestations : plusieurs États, dont l’Allemagne ou les Pays-Bas, jugent le budget trop élevé, tandis que d’autres le trouvent insuffisant, dénonçant un « statu quo » qui gèle les investissements réels.  Mais les réactions les plus virulentes viennent du Parlement européen. Les députés critiquent un manque d’ambition et surtout la tendance à « nationaliser » le budget via des plans négociés État par État. Les agriculteurs redoutent des coupes importantes (PAC réduite, aides conditionnées), et les régions s’inquiètent des baisses dans la politique de cohésion.

Le site contexte en livre une analyse en 6 points très complète. Il ressort clairement que les gagnants sont les industries de défense et spatiale (+131 Mds €), et les transitions verte et numérique. Ceci au détriment des agriculteurs, des régions les moins favorisées et des fonds sociaux incertains.

Dans une analyse au fond, le Centre Jacques Delors (sa branche berlinoise) rappelle les contraintes : la fin des fonds NextGenerationEU, le remboursement d’environ 25 milliards € annuels de dette pandémique, et une montée des besoins en compétitivité, résilience, défense, décarbonation et numérisation. C’est donc une proposition jugée audacieuse : légère augmentation de fonds, simplification radicale des structures budgétaires, réduction des enveloppes programmées à l’avance, et flexibilité accrue.

Cohésion et agriculture sont en baisse (-15 % et -10 %), tandis que les investissements dans l’énergie, l’industrie, la défense sont fortement renforcés via des « plans nationaux et régionaux » (NRPP), soumis à des engagements de réforme pour débloquer les fonds.

Les mécanismes de flexibilité incluent un quart des enveloppes non assignées à l’avance, un volet “Catalyst Europe” (€150 milliards de prêts bon marché) et une « EU Facility » (€66 milliards pour crises rapides).

Dans cette perspective, quatre priorités se dessinent pour les négociations : préserver l’orientation vers les investissements communs, ancrer la flexibilité, réformer la PAC et la politique de cohésion via les NRPP, et accepter que de véritables réformes requièrent des moyens financiers robustes. La réforme de la PAC fera d’ailleurs suite à la négociation du budget. Il pourrait s’y trouver d’autres développements intéressants, expliquent certains observateurs. Comme le note un analyste, il n’est pas dit qu’une gestion renforcée des crises suffise à compenser la baisse drastique des aides agricoles.

De la PAC aux politiques de cohésion, les Etats membres seront mobilisés pour défendre leurs enveloppes européennes : 14 d’entre eux ont déjà rejeté la proposition. Les négociations s’annoncent difficiles, sur fond de tensions géopolitiques, crise climatique et pressions pour renforcer défense et compétitivité. Sans oublier les agendas nationaux des Etats membres. Ainsi Viktor Orban conditionne son approbation du nouveau budget à la libération des fonds européens gelés — notamment des milliards d’euros suspendus pour des raisons liées au recul démocratique et à l’Etat de droit en Hongrie. Et bien entendu, il dénonce un budget “de guerre” dont une part disproportionnée des ressources est détournée vers l’extérieur, aux détriments des citoyens et des agriculteurs européens. 

C’est pourtant une proposition de budget taillée pour les Etats membres, qui marque de façon très nette un recul des politiques communautaires et pourraient marquer une renationalisation et un désengagement de l’UE.