Agriculture européenne: Duplomb partout

Agriculture européenne: Duplomb partout

22 September 2025 0 By EG

L’agriculture européenne peut-elle survivre à son propre modèle? C’est d’elle qu’est venue la remise en cause du Pacte vert dans la dernière année du premier mandat von der Leyen (EIH 5/2/24) et le grand retournement anti-Green Deal aux élections de juin 2024. Au coeur de cette contradiction qui menace l’avenir des agriculteurs et tout le secteur: les pesticides que l’UE a ambitionné de réduire drastiquement, avant d’y renoncer devant la mobilisation générale (EIH 1/5/23, 5/5/23 et 12/6/23).  

Mais dans un marché libre, ouvert et concurrentiel, le problème de la réduction des pesticides est qu’elle doit être uniforme pour tous les producteurs. Alors que les agriculteurs français préparent une nouvelle mobilisation le 26 septembre pour protester contre l’accord UE-Mercosur, la FNSEA a indiqué que la contestation portera aussi sur la PAC, la loi Duplomb et la concurrence déloyale ressentie par les producteurs nationaux.

Portée par le sénateur Laurent Duplomb (LR), une proposition de loi visait à lever certaines contraintes pesant sur les agriculteurs. Elle complétait le projet de “loi d’orientation agricole”, conçu comme une réponse aux mobilisations européennes, marquées par des inquiétudes liées à la baisse du potentiel productif, aux épidémies animales et aux retards de versement des aides de la PAC. 

Les objectifs affichés étaient triples : garantir une concurrence loyale au moins à l’échelle européenne, sécuriser l’accès à l’eau et instaurer une relation de confiance dans un contexte marqué par les aléas climatiques et la pression réglementaire. 

La mesure la plus controversée concernait la réautorisation, à titre dérogatoire et sous conditions, de l’acétamipride, un néonicotinoïde interdit en France depuis 2020 mais encore approuvé par l’Union européenne jusqu’en 2033.

Certains producteurs, notamment les industriels de la betterave et les producteurs de noisettes, y voient une nécessité faute d’alternatives efficaces et dénoncent une distorsion de concurrence avec leurs homologues européens. Laurent Duplomb soutient que maintenir son nterdiction en France revient à désavantager ses agriculteurs par rapport à leurs voisins et appelle à respecter les règles communes du marché européen. Bien que cette disposition ait été censurée par le Conseil constitutionnel, il n’exclut pas de proposer un nouveau texte conforme aux exigences juridiques. 

Au-delà de l’extraordinaire mobilisation citoyenne en France qui a souligné la centralité des questions de santé publique en matière d’écologie, la loi Duplomb a surtout mis en exergue une contradiction fondamentale de l’UE sur la réglementation des pesticides. Car les défenseurs de la loi ont beau jeu de rappeler que l’acétamipride reste autorisé dans toute l’Union européenne et largement utilisé en arboriculture et dans la production de légumes, alors que la France avait plaidé pour son interdiction en 2020 en invoquant sa toxicité. 

Ce pesticide est d’ailleurs le dernier néonicotinoïde encore approuvé au niveau européen, les autres ayant été bannis. Pour ses opposants comme l’eurodéputé David Cormand (FR-Verts), la réintroduction envisagée illustre un recul écologique aligné sur les remises en cause du Pacte vert, et reflète la logique d’une agriculture industrielle jugée destructrice. 

La question dépasse donc le cadre national, car c’est l’Union européenne qui encadre la mise sur le marché et l’usage des pesticides. Chaque substance doit être approuvée par la Commission européenne, après avis scientifique de l’EFSA et consultation des États membres réunis au sein du comité Scopaff.

L’autorisation est toujours limitée dans le temps, pour un maximum de 15 ans, et peut être révisée, comme ce fut le cas pour le glyphosate en 2023. L’UE fixe également les limites maximales de résidus dans les denrées alimentaires, généralement 0,01 mg/kg, mais ajustées produit par produit. 

Pour l’acétamipride, ces seuils ont récemment été relevés, avec l’aval de l’EFSA, jusqu’à 0,04 mg/kg pour les prunes et 0,3 mg/kg pour le miel. Ainsi, même si la loi Duplomb n’a pas permis sa réintroduction en France, d’autres pays européens peuvent exporter des produits qui en contiennent. 

Dans l’attente d’alternatives solides à ces produits phytosanitaires, le ministère de l’Agriculture a autorisé certains produits de substitution et mobilisé 140 millions d’euros via le plan Parsada pour financer la recherche de solutions. 

L’Anses rappelle toutefois qu’aucune autre famille de produits ne peut, à elle seule, remplacer les néonicotinoïdes, ce qui impose une combinaison de méthodes. Ce n’est pas la première fois que la France et l’UE se heurtent à ce type de problématique : en 2023, la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé illégales les dérogations françaises pour les néonicotinoïdes, contraignant le gouvernement à y mettre fin. 

Au-delà du volet réglementaire, le débat met en lumière deux visions opposées de l’agriculture européenne : productiviste, commerciale et intensive, vs. locale, écologique et paysanne. La controverse n’est pas finie.