
Security check
Quelle meilleure illustration de la lutte que doit mener l’Europe, selon les mots de Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’union, que les nombreuses et récurrentes violations de son espace aérien par la Russie ?
Depuis deux semaines, les incursions de drones et avions russes dans l’espace aérien de l’Union européenne se sont accumulées.
Pologne, Estonie, Lettonie, Danemark, pour les pays frontaliers ou voisins de la Russie, se pose la question de la bonne réponse aux provocations russes. Dans le cadre des rondes de surveillance de l’OTAN, des chasseurs d’Europe de l’Ouest ont été dispatchées en renfort auprès des pays de l’Est ayant détecté ces incursions russes. La Royal Air Force britannique s’est également jointe aux survols de la Pologne en réponse aux survols de drones russes la semaine dernière.
La Lettonie plaide pour un renforcement de la présence de l’OTAN. Et l’Estonie a déclenché l’article 4 du traité de l’OTAN, appelant donc à une consultation de tous ses membres pour convenir d’une réponse. Certains appellent à des mesures encore plus fortes, plus rapidement –à savoir abattre les avions et les drones violant l’espace aérien européen, comme cela a été le cas au-dessus de la Pologne. Une réponse extrême mais efficace qu’avait adoptée Ankara en 2015 quand les pilotes russes avaient, comme aujourd’hui, refusé de répondre aux appels radio leur ordonnant de quitter l’espace aérien. A l’époque, Moscou avait nié, fait des reproches, mais l’espace aérien turc était resté inviolé par la suite.
Alors que la Russie engage une rhĂ©torique de survie face Ă la menace que poserait les Etats baltiques pour justifier ses agressions, l’Europe pourrait reprendre les conversations sur le Sky Shield europĂ©en. En suivant, cette fois, l’exemple rĂ©cent du Danemark qui s’est Ă©quipĂ© auprès de fabricants europĂ©ens.
Alors que la Russie intensifie de façon spectaculaire ses frappes sur l’Ukraine, et ses villes (plus de 1500 drones en une seule semaine), la guerre en Ukraine se mène pourtant aussi sur plusieurs fronts, dont certains loin du théâtre du Donbass. La Russie teste les limites de la solidarité de l’OTAN et de l’UE par ses intrusions aériennes, et la réponse se doit d’être ferme pour y mettre un terme. Face à ce test de force, les alliés semblent un peu perdus.
“A force d’assĂ©ner que la Russie est un adversaire, et de crier haut et fort Ă la menace, ils ont oubliĂ© un principe de base. Face au Kremlin : parler ne sert pas Ă grand chose. Il faut agir.” : SpĂ©cialiste des questions de dĂ©fense europĂ©enne, l’analyste Nicolas Gros-Verheyde dĂ©taille les rĂ©actions nĂ©cessaires selon lui pour la crĂ©dibilitĂ© de la sĂ©curitĂ© de l’UE, dont le nĂ©cessaire et lĂ©gitime abattage des avions ou drones concernĂ©s.
Il y a aussi bien sûr les cyber attaques et les vagues de désinformation qui déforme la société civile européenne se sont multipliées depuis l’invasion de l’Ukraine, et les réponses qui y sont apportées sont insuffisantes. La “Sentinelle Orientale” improvisée en réponse aux violations de l’espace aérien otanien ne doit pas rester un acte isolé, estime le Conseil Atlantique. L’OTAN pourrait ainsi s’appuyer sur les “Sentinelles du Ciel” ukrainiennes pour mettre en place un système de réponse à l’usage massif de drones que fait la Russie dans sa guerre hybride contre l’Europe, avant de s’accorder sur un système de défense aérien pérenne.
La sécurisation de l’espace aérien européen face aux incursions russes remet en perspective l’épineuse question des garanties de sécurité pour l’Ukraine une fois le conflit terminé. En août dernier, Donald Trump rencontrait Vladimir Poutine en Alaska pour des discussions unilatérales sur la guerre en Ukraine. “Un jeu de dupes”, expliquait Pierre Haski dans son éditorial du 4 septembre 2025. Une semaine plus tard, des dirigeants européens se pressaient à la Maison Blanche dans une démonstration de leur soutien à Volodymyr Zelensky pour obtenir des garanties sécuritaires pour l’Ukraine et l’Europe. Une réunion qui fut presque aussi infructueuse.
Après l’Ă©chec de ses tentatives de conciliations en Alaska, le prĂ©sident amĂ©ricain a semblĂ© hausser le ton sur les sanctions Ă l’encontre de la Russie, et perdre patience dans un contexte d’escalade en Ukraine et d’intrusions russes dans l’espace aĂ©rien europĂ©en. Cependant, les Ă©quilibres sont complexes et l’élargissement des sanctions aux pays achetant des hydrocarbures russes a poussĂ© l’Inde dans les bras de la Chine et solidifiĂ© une alliance de l’Organisation de coopĂ©ration de Shanghai (ES 8/9/25); Trump met maintenant en garde les membres de l’OTAN et menace de retirer le soutien des Etats-Unis s’ils poursuivent leurs achats d’hydrocarbures russes. Oubliant au passage que les principaux rĂ©calcitrants, la Hongrie et la Slovaquie, sont dirigĂ©es par des premiers ministres qui se rĂ©clament de lui.
Les sanctions européennes, pour leur part, restent difficiles à évaluer, et doivent aussi être durcies. Malgré un ton nettement plus favorable à l’Europe ces dernières semaines, les Etats-Unis ne se sont pas engagés sur la voie d’une participation active à la défense européenne post-guerre. La vente d’armes américaines à l’Ukraine se poursuivra – elle est dans l’intérêt de l’économie américaine. Toutefois, le déploiement de forces armées américaines et la participation de ces dernières dans la défense européenne reste en suspens.
Trump ne s’y oppose plus de manière frontale, et a même exprimé être ouvert à des garanties sécuritaires américaines pour l’Europe en dehors de l’OTAN – sans précisions. Un flou et un soutien frileux qui ne peuvent que favoriser la position de Moscou, dont les opérations aériennes visent à semer la peur et la discorde.
L’Europe aura-t-elle les moyens de sa prétention à assurer la sécurité de l’Ukraine ? Certes, l’UE a renforcé ses outils : aides militaires via la Facilité européenne pour la paix, livraisons d’armes communes, formation de soldats et négociations d’adhésion (ES 12/11/23). Elles sont cependant ralenties ces derniers temps. Elle dispose aussi d’une base industrielle de défense en pleine expansion et de financements renouvelés. Cependant, sa capacité à garantir seule la sécurité de l’Ukraine reste limitée.
Les États membres divergent sur l’ampleur des dépenses, les stocks d’armements restent insuffisants et l’UE ne possède pas de véritable armée intégrée. Dans une tribune de Friedrich Merz pour le Financial Times, le chancelier allemand appelle à contracter un prêt européen de 140 milliards d’euros pour la défense ukrainienne, que l’Ukraine rembourserait grâce aux dommages de guerre payés par la Russie après la guerre.
Une vision optimiste de l’engagement de la Russie à payer des réparations, mais néanmoins une vision européenne de la défense et de la reconstruction d’un pays ayant choisi d’intégrer l’Union européenne à l’avenir. La ministre des Finances britannique a, quant à elle, remis sur la table la possibilité d’user des avoirs gelés russes pour financer la défense de l’Ukraine.
Kyiv annonçait il y a deux semaines avoir besoin de 120 milliards d’euros en 2026 pour financer la guerre. Elle s’accommoderait sans doute d’un de ces deux modes de financements.
À court terme, la sécurité ukrainienne dépend donc toujours du soutien américain et de la dissuasion alliée. Mais à moyen terme, si l’intégration politique et la production d’armements progressent, l’UE pourra jouer un rôle majeur mais lequel ?