L’EUvangile Selon Mario
Bien sous tous rapports
Alors que la conversation européenne était toute entière focalisée sur la composition du Collège, et le début des auditions des candidats-Commissaires (liste ici) par le Parlement européen, prévues à partir d’octobre, l’actualité européenne a pris un tour un peu messianique. Après un suspense entretenu depuis le printemps (cf. EIH 19/5/24), le rapport dirigé par l’ancien président de la Banque Centrale Européenne, ancien Premier ministre italien proclamé “sauveur de l’euro”, a été publié en début de semaine dernière. Pour celui dont la “parole vaut de l’or” tant son autorité morale, ses compétences économiques et son capital politique s’imposent au reste de l’UE, l’Europe doit investir plus de €800 milliards par an si elle veut enrayer un déclin devenu inexorable.
- 60 pages d’un diagnostic sévère sur les limites atteintes par le modèle économique européen et les principes pistes pour y remédier. Suivies de plus de 300 pages de détails des politiques européennes à mettre en œuvre.
- “6 points clés et 12 graphiques” éloquents résumés par Le Grand Continent. Le pavé Draghi dans la mare ne cesser de faire des ronds depuis sa publication: car l’Europe doit effectuer “un changement radical” pour rattraper son retard pris face aux États-Unis et à la Chine”.
- Reprenant l’avertissement de la Sorbonne par le président Macron, le rapport évoque un « défi existentiel » et le risque d’une “lente agonie” de l’UE. « Il nous faut abandonner l’illusion que seule la procrastination peut préserver le consensus” avertit-il les gouvernements des Etats membres. Le site Contexte en livre une analyse politique intéressante au regard des blocages du débat européen.
NEIN!Â
Car les blocages sont d’abord politiques. Selon Draghi, l’UE devrait mobiliser des sommes considĂ©rables pour combler le fossĂ© technologique qui la sĂ©pare des États-Unis et de la Chine, deux Ă©conomies hautement subventionnĂ©es (par les règles fiscales aux US et par l’Etat central en Chine) dont l’effort des dernières annĂ©es leur a permis ce dĂ©crochage. La manière dont les règles budgĂ©taires europĂ©ennes et nationales sont conçues ne laisse aucune place aux principales recommandations politiques de Draghi, Ă savoir une augmentation de la part de l’investissement dans le PIB d’environ 800 milliards d’euros par an, Ă partir de maintenant et pour toujours. Cette mesure serait d’une ampleur sans prĂ©cĂ©dent. Le budget de l’UE ne reprĂ©sente que 1 % du PIB, dont la majeure partie est affectĂ©e Ă des transferts non discrĂ©tionnaires.
- Le message de Mario Draghi a été immédiatement entendu à Berlin, où le ministre des Finances (FDP-Renew) et le chef de l’opposition F. Merz (CDU-PPE) ont chacun de leur côté déjà annoncé qu’il était hors de question de doter l’UE d’une capacité d’emprunt et de réformer le budget européen pour dégager les sommes suggérées.
- Ce que Mario Draghi a suggĂ©rĂ©, une augmentation permanente de l’investissement de 5 point de pourcentage, ne peut ĂŞtre couvert que par une dette souveraine de la zone euro. Dans l’Ă©tat actuel de la politique europĂ©enne et allemande, aucune chance que Berlin n’accepte.
- Le fonds de relance a durci les opinions politiques en Allemagne. Le seul parti ouvert Ă l’idĂ©e d’une union fiscale europĂ©enne serait les Verts. Aucun parti politique allemand n’est prĂŞt Ă investir du capital politique dans une union fiscale, mĂŞme si elle est au cĹ“ur de la crise que le rapport de Draghi a analysĂ©e si mĂ©ticuleusement.
- Une fin de non-recevoir inquiĂ©tante sur la capacitĂ© et la volontĂ© des Etats europĂ©ens Ă relever le dĂ©fi. En l’état, la mise en Ĺ“uvre des recommandations du rapport Draghi ne se peut s’envisager qu’en l’absence de l’Allemagne. Une rĂ©alitĂ© dĂ©jĂ envisagĂ©e par le rapport qui suggère de passer par “les coopĂ©rations renforcĂ©es”, possibles Ă partir d’un accord entre 9 membres.