Orban Circus

Orban Circus

13 October 2024 Off By EG

Pour peu qu’on en suive les débats, la démocratie parlementaire européenne ne manque pas de spectacle. Ce mercredi 9 octobre, le Premier Ministre hongrois qui occupe actuellement la présidence du Conseil de l’UE était accueilli dans une atmosphère houleuse dans l’hémicycle à Strasbourg.  

L’ambiance n’est déjà pas exactement à la coopération depuis le début de la présidence hongroise. Les réunions sont régulièrement boycottées par une majorité de ministres de l’UE, pour marquer les divergences sur l’Etat de droit. Et surtout, dénoncer la diplomatie parallèle entretenue par V. Orban avec le Kremlin sur l’Ukraine (cf. EIH 7/7/24). 

Au Parlement, les échanges ont vite pris une tournure personnelle et agressive comme un règlement de comptes, en particulier avec Manfred Weber président du groupe PPE, ou Ursula von der Leyen, elle aussi membre du PPE.  

C’est donc du centre-droit que viennent les attaques, le parti dont Viktor Orban fut longtemps l’un des piliers et même le Vice-Président, jusqu’à son expulsion/démission en 2021, sous la pression des éléments les plus libéraux et modérés (scandinaves, polonais, Benelux). La présidente von der Leyen s’en est fortement et personnellement pris à V. Orban qui continue de faire obstruction à l’aide à l’Ukraine et à sa rhétorique qui exempte Moscou de ses responsabilités.  

Dans le viseur aussi, les liens énergétiques toujours très forts entretenus avec Moscou, sur le nucléaire et surtout sur les énergies fossiles dont l’importation perdure.  

Surpris, le Premier ministre hongrois a rendu coup pour coup. Pourtant, c’est plutôt des libéraux et de la gauche que le Premier Ministre s’attendait à recevoir les coups, lui qui s’est fait le chantre d’une droite radicale et réactionnaire, en “croisade contre la gauche et l’immigration” notait Médiapart.  

Ces attaques du PPE soulignent d’une part la présence d’une opposition hongroise au sein du PPE. D’autre part, elles mettent en exergue le regain d’influence de V. Orban dans le jeu politique européen.

Ceci est certainement lié à la formation du groupe “Patriots for Europe” (cf. EIH 7/7/24) qui peut revendiquer déjà deux membres à la table du Conseil, la Hongrie et les Pays-Bas… et bientôt un 3e avec l’Autriche (cf. EIH 7/10/24).  

Voire un 4e avec une potentielle victoire de l’extrême-droite en France en 2027?  

Viktor Orban venait à Strabsourg pour une audition autour des priorités qu’il entend poursuivre pour sa présidence du Conseil de l’UE. On y retrouve les thématiques structurantes du débat européen actuel, en particulier la proposition d’un “Nouveau pacte européen pour la compétitivité” (cf. EIH 16/9/24) et “le renforcement de la politique européenne de défense” (cf. EIH 29/9/24), ainsi qu’une “politique agricole européenne axée sur les agriculteurs” après la grande crise de l’hiver dernier – témoignant d’ailleurs de la relative relégation des politiques du Green Deal.  

Mais cela va plus loin : Orban a réussi à “orbaniser” une partie du débat européen, imposant ses obsessions, déplore la députée Chloé Ridel (FR-S&D) dans une interview.  Ainsi, les priorités de la présidence hongroise reflètent aussi les habituels tropes de la droite radicale européenne, entre “endiguement de l’immigration clandestine” et “Relever les défis démographiques”, cette quadrature du cercle pour un continent pris au piège de ses contradictions (cf. EIH 5/5/24).  

La présidence hongroise a d’ailleurs tenu une réunion ministérielle informelle sur le sujet en septembre, à défaut du grand “forum sur la démographie” organisé tous les deux ans à Budapest, où se presse tout le gratin politico-religieux conservateur/réactionnaire de la planète.  

Certes il ne reste que 3 mois avant de passer la main à la Pologne et à Donald Tusk, mais les 3 premiers auront été surtout consacrés aux processus institutionnels après les élections. Et le trimestre restant est important puisqu’il verra les auditions et potentielles confirmations des commissaires-désignés, et les premiers pas législatifs de la nouvelle Commission von der Leyen 2.  

Viktor Orban est le plus ancien chef de gouvernement en poste en Europe – et parmi les pays qui organisent des élections, seul Vladimir Poutine est là depuis plus longtemps. Revenu au pouvoir en 2010 pour un 2e mandat, V. Orban a su profiter de la supermajorité constitutionnelle que lui avaient donnée les électeurs écoeurés par les scandales du gouvernement précédent, pour remodeler à sa guise les lois cardinales qui organisent la vie politique et électorale de son pays, et réécrire une constitution entièrement idéologique en 2011.  

Sa façon de réduire l’emprise de l’Etat de droit et de rogner sur les libertés publiques, sans jamais paraître donner prise à la contestation, ont fait l’admiration de nombreux émules. Le Premier Ministre slovène Jansa (cf. EIH 28/4/22) ou Aleksander Vucic en Serbie (cf. EIH 22/9/22) en ont fait leur modèle.  

Le PiS de Jaroslaw Kaczynski avait déclaré vouloir faire “comme Orban” en 2015 au moment de son retour aux affaires, mais sans la majorité constitutionnelle il n’aura pas pu aller plus loin que la mise au pas des médias et de la Cour suprême – ce qui n’était pas mal déjà (cf. EIH 12/8/21).  

Et la méthode Orban inspire en dehors de l’UE. Dans une analyse pour l’ECFR, Jeremy Shapiro et Zsuzsana Vegh notent que l’intérêt que suscite la méthode V. Orban chez les Républicains.  Si Trump revenait au pouvoir, son admininstration pourrait décliner l’orbanisme au contexte américain pour mettre fin à ce qu’ils considèrent comme un contrôle libéral de l’« État administratif » et de la société civile.

Cette nouvelle forme de gouvernance américaine pourrait avoir de profondes implications. Non seulement pour la politique étrangère européenne, y compris la robustesse de la défense collective de l’OTAN,  mais aussi pour l’UE et la démocratie européenne intérieure, car une Maison Blanche Trump cherche à diriger et à défendre des alliés partageant les mêmes idées à travers le monde. 

Dans un pays qui a toujours fait de l’Etat de droit et des libertés fondamentales la pierre angulaire de son régime et de son projet national, ce serait une révolution culturelle majeure.

Donald Trump a déjà eu l’occasion de rendre hommage à Viktor Orban, “un leader fort” comme il se les représente. Et l’homme fort a déjà annoncé qu’il célébrerait une victoire de Trump avec une bouteille de champagne