Orban Circus

Orban Circus

14 October 2024 Off By EG

Pour peu qu’on en suive les dĂ©bats, la dĂ©mocratie parlementaire europĂ©enne ne manque pas de spectacle. Ce mercredi 9 octobre, le Premier Ministre hongrois qui occupe actuellement la prĂ©sidence du Conseil de l’UE Ă©tait accueilli dans une atmosphère houleuse dans l’hĂ©micycle Ă  Strasbourg.  

L’ambiance n’est dĂ©jĂ  pas exactement Ă  la coopĂ©ration depuis le dĂ©but de la prĂ©sidence hongroise. Les rĂ©unions sont rĂ©gulièrement boycottĂ©es par une majoritĂ© de ministres de l’UE, pour marquer les divergences sur l’Etat de droit. Et surtout, dĂ©noncer la diplomatie parallèle entretenue par V. Orban avec le Kremlin sur l’Ukraine (cf. EIH 7/7/24). 

Au Parlement, les Ă©changes ont vite pris une tournure personnelle et agressive comme un règlement de comptes, en particulier avec Manfred Weber prĂ©sident du groupe PPE, ou Ursula von der Leyen, elle aussi membre du PPE.  

C’est donc du centre-droit que viennent les attaques, le parti dont Viktor Orban fut longtemps l’un des piliers et même le Vice-Président, jusqu’à son expulsion/démission en 2021, sous la pression des éléments les plus libéraux et modérés (scandinaves, polonais, Benelux). La présidente von der Leyen s’en est fortement et personnellement pris à V. Orban qui continue de faire obstruction à l’aide à l’Ukraine et à sa rhétorique qui exempte Moscou de ses responsabilités.  

Dans le viseur aussi, les liens Ă©nergĂ©tiques toujours très forts entretenus avec Moscou, sur le nuclĂ©aire et surtout sur les Ă©nergies fossiles dont l’importation perdure.  

Surpris, le Premier ministre hongrois a rendu coup pour coup. Pourtant, c’est plutĂ´t des libĂ©raux et de la gauche que le Premier Ministre s’attendait Ă  recevoir les coups, lui qui s’est fait le chantre d’une droite radicale et rĂ©actionnaire, en “croisade contre la gauche et l’immigration” notait MĂ©diapart.  

Ces attaques du PPE soulignent d’une part la présence d’une opposition hongroise au sein du PPE. D’autre part, elles mettent en exergue le regain d’influence de V. Orban dans le jeu politique européen.

Ceci est certainement liĂ© Ă  la formation du groupe “Patriots for Europe” (cf. EIH 7/7/24) qui peut revendiquer dĂ©jĂ  deux membres Ă  la table du Conseil, la Hongrie et les Pays-Bas… et bientĂ´t un 3e avec l’Autriche (cf. EIH 7/10/24).  

Voire un 4e avec une potentielle victoire de l’extrĂŞme-droite en France en 2027?  

Viktor Orban venait Ă  Strabsourg pour une audition autour des prioritĂ©s qu’il entend poursuivre pour sa prĂ©sidence du Conseil de l’UE. On y retrouve les thĂ©matiques structurantes du dĂ©bat europĂ©en actuel, en particulier la proposition d’un “Nouveau pacte europĂ©en pour la compĂ©titivité” (cf. EIH 16/9/24) et “le renforcement de la politique europĂ©enne de dĂ©fense” (cf. EIH 29/9/24), ainsi qu’une “politique agricole europĂ©enne axĂ©e sur les agriculteurs” après la grande crise de l’hiver dernier – tĂ©moignant d’ailleurs de la relative relĂ©gation des politiques du Green Deal.  

Mais cela va plus loin : Orban a rĂ©ussi Ă  “orbaniser” une partie du dĂ©bat europĂ©en, imposant ses obsessions, dĂ©plore la dĂ©putĂ©e ChloĂ© Ridel (FR-S&D) dans une interview.  Ainsi, les prioritĂ©s de la prĂ©sidence hongroise reflètent aussi les habituels tropes de la droite radicale europĂ©enne, entre “endiguement de l’immigration clandestine” et “Relever les dĂ©fis dĂ©mographiques”, cette quadrature du cercle pour un continent pris au piège de ses contradictions (cf. EIH 5/5/24).  

La prĂ©sidence hongroise a d’ailleurs tenu une rĂ©union ministĂ©rielle informelle sur le sujet en septembre, Ă  dĂ©faut du grand “forum sur la dĂ©mographie” organisĂ© tous les deux ans Ă  Budapest, oĂą se presse tout le gratin politico-religieux conservateur/rĂ©actionnaire de la planète.  

Certes il ne reste que 3 mois avant de passer la main Ă  la Pologne et Ă  Donald Tusk, mais les 3 premiers auront Ă©tĂ© surtout consacrĂ©s aux processus institutionnels après les Ă©lections. Et le trimestre restant est important puisqu’il verra les auditions et potentielles confirmations des commissaires-dĂ©signĂ©s, et les premiers pas lĂ©gislatifs de la nouvelle Commission von der Leyen 2.  

Viktor Orban est le plus ancien chef de gouvernement en poste en Europe – et parmi les pays qui organisent des Ă©lections, seul Vladimir Poutine est lĂ  depuis plus longtemps. Revenu au pouvoir en 2010 pour un 2e mandat, V. Orban a su profiter de la supermajoritĂ© constitutionnelle que lui avaient donnĂ©e les Ă©lecteurs Ă©coeurĂ©s par les scandales du gouvernement prĂ©cĂ©dent, pour remodeler Ă  sa guise les lois cardinales qui organisent la vie politique et Ă©lectorale de son pays, et rĂ©Ă©crire une constitution entièrement idĂ©ologique en 2011.  

Sa façon de rĂ©duire l’emprise de l’Etat de droit et de rogner sur les libertĂ©s publiques, sans jamais paraĂ®tre donner prise Ă  la contestation, ont fait l’admiration de nombreux Ă©mules. Le Premier Ministre slovène Jansa (cf. EIH 28/4/22) ou Aleksander Vucic en Serbie (cf. EIH 22/9/22) en ont fait leur modèle.  

Le PiS de Jaroslaw Kaczynski avait dĂ©clarĂ© vouloir faire “comme Orban” en 2015 au moment de son retour aux affaires, mais sans la majoritĂ© constitutionnelle il n’aura pas pu aller plus loin que la mise au pas des mĂ©dias et de la Cour suprĂŞme – ce qui n’était pas mal dĂ©jĂ  (cf. EIH 12/8/21).  

Et la mĂ©thode Orban inspire en dehors de l’UE. Dans une analyse pour l’ECFR, Jeremy Shapiro et Zsuzsana Vegh notent que l’intĂ©rĂŞt que suscite la mĂ©thode V. Orban chez les RĂ©publicains.  Si Trump revenait au pouvoir, son admininstration pourrait dĂ©cliner l’orbanisme au contexte amĂ©ricain pour mettre fin Ă  ce qu’ils considèrent comme un contrĂ´le libĂ©ral de l’« État administratif » et de la sociĂ©tĂ© civile.

Cette nouvelle forme de gouvernance amĂ©ricaine pourrait avoir de profondes implications. Non seulement pour la politique Ă©trangère europĂ©enne, y compris la robustesse de la dĂ©fense collective de l’OTAN,  mais aussi pour l’UE et la dĂ©mocratie europĂ©enne intĂ©rieure, car une Maison Blanche Trump cherche Ă  diriger et Ă  dĂ©fendre des alliĂ©s partageant les mĂŞmes idĂ©es Ă  travers le monde. 

Dans un pays qui a toujours fait de l’Etat de droit et des libertés fondamentales la pierre angulaire de son régime et de son projet national, ce serait une révolution culturelle majeure.

Donald Trump a déjà eu l’occasion de rendre hommage à Viktor Orban, “un leader fort” comme il se les représente. Et l’homme fort a déjà annoncé qu’il célébrerait une victoire de Trump avec une bouteille de champagne