MERCOSUR-menage
Partout en Europe, comme en Pologne, l’hiver semble annoncer de nouvelles actions du secteur agricole. Malgré les promesses, et surtout les reculs législatifs comme sur le règlement interdisant le commerce de produits issus de la déforestation, que l’Union s’apprête à amender afin de repousser d’un an la mise en application, la détresse du monde paysan n’est toujours pas résorbée.
En France, en particulier, surtout à l’orée des élections professionnelles, la mobilisation reprend – mais sur des bases différentes, souligne François Purseigle dans un entretien à Médiapart. Comme chez ses voisins, mais plus fort encore, c’est l’accord de libre-échange avec le Mercosur, et la concurrence internationale avec de grandes puissances agricoles comme le Brésil qu’il implique, qui cristallise les craintes et les tensions.
Témoin de cette tension, la position de la France sur ce dossier est un des rares sujets qui fait consensus dans le pays. Plus de 600 parlementaires, d’horizons politiques, divers ont déjà affiché leur opposition dans une tribune au Monde. Cet accord est déjà un vieux dossier dont les discussions ont commencé en 1999 et avaient débouché sur un premier compromis en 2019. Il avait été abandonné du fait d’une vive opposition notamment déjà de la part de Paris (cf. EIH 11/2/24).
La conclusion de l’accord a été remise sur la table à la faveur d’un contexte géopolitique plus favorable avec l’élection de Lula au Brésil. Ursula von der Leyen espère profiter de l’agenda diplomatique de fin d’année (G20 au Brésil en novembre, sommet du Mercosur en décembre) pour faire avancer les négociations dans la perspective d’une signature. Côté brésilien, en revanche, l’enthousiasme retombe un peu, note Le Monde. Cela est notamment dû à la part croissante de la Chine dans le commerce extérieur.
Le Club des juristes revient en détail sur le contenu de l’accord, en particulier les fameuses “clauses miroir” invoquées dans les médias français, mais qui n’apparaissent pas dans le texte. Il s’agirait d’imposer aux signataires les mêmes normes de production que sur le territoire de l’UE. Un deal-breaker évident pour les Etats du Mercosur. L’UE doit pouvoir imposer des règles à ses partenaires commerciaux, comme le mécanisme d’ajustement aux frontières ou le règlement sur la déforestation importée.
Comme en 2019, la France s’oppose vivement à la signature du traité “en l’état”, sur fond de crise agricole. Des craintes que la Commission européenne “peine à rassurer”, souligne une analyse de Contexte. L’accord supposerait l’arrivée massive de denrées alimentaires sud-américaines sur le marché français, une “concurrence déloyale” pour les filières agricoles, car produites avec des normes environnementales et sanitaires moins strictes. Pire, il permettrait même de réimporter sur le marché européen des denrées agricoles produites avec des substances phytosanitaires interdites dans l’UE, mais toujours autorisées à l’export. Le projet prévoit par exemple la possibilité pour les éleveurs sud-américains d’exporter chaque année en Europe 160 000 tonnes de bœuf avec des droits de douane réduits ou nuls. Pour comparaison, l’Europe a importé 351 000 tonnes de viande bovine en 2023.
L’opposition du monde agricole est soutenue par les milieux écologistes qui craignent de leur côté que l’accord ne pousse les pays du Mercosur à augmenter leurs capacités de production. Notamment en déboisant la forêt amazonienne pour y installer des pâturages.
LES RAISINS DE LA DISCORDE
“Viande contre voiture” : l’accord du Mercosur ne se limite pas au volet agricole. Il est considĂ©rĂ© comme nĂ©cessaire pour des secteurs industriels europĂ©ens en grande difficultĂ© – comme l’automobile (cf. EIH 11/11/24). D’autres acteurs pointent ainsi les bĂ©nĂ©fices de l’accord pour l’économie française et europĂ©enne. L’économiste Emmanuel Combe expose dans Les Echos les 5 raisons pour lesquelles il faudrait soutenir l’accord :
- S’assurer des débouchés dans un contexte de montée du protectionnisme et la signature de cet accord est la dernière occasion de le faire.
- Barrer la route à la Chine dont la part de marché en Amérique du sud ne fait que croître.
- Diversifier ses sources d’approvisionnement en minerais stratégiques et avoir un accès privilégié au cobalt, graphite et lithium de la zone.
- Ouvrir un nouveau marché pour des filières clés en France : vins, spiritueux, automobile, chimie, etc.
- Les importations de volaille et de bœuf prévues par l’accord pèsent peu dans le total consommé par l’Europe (1,2% pour le bœuf par exemple).
L’Espagne et le Portugal qui ont des liens historiques et culturels forts avec le Mercosur et l’Allemagne pour des raisons économiques défendent l’accord. L’Allemagne y voit une opportunité industrielle avec un nouveau marché d’exportation pour ses voitures, alors que la consommation chinoise est en berne et que les États-Unis risquent d’augmenter leurs droits de douane avec le retour de Trump. Le Premier ministre espagnol a rappelé son engagement pour pousser le traité auprès de ses partenaires.
La France cherche Ă bloquer l’accord mais ne peut rien seule. Il lui faut pour cela convaincre certains de ses partenaires. La Pologne, l’Autriche, les Pays-Bas et l’Irlande ont exprimĂ© par le passĂ© leurs inquiĂ©tudes vis-Ă -vis de l’accord, tout comme l’Italie rĂ©cemment.
Le vote au Conseil européen étant à majorité qualifiée, la France doit trouver une minorité de blocage. Le site Contexte analyse le rapprochement avec la Pologne et l’Italie dans cette perspective. L’Italie de Giorgia Meloni a ainsi annoncé en faire “une bataille commune”.
Cependant, la constitution d’une coalition politique au Conseil ne se limite jamais au dossier directement concerné. Si la Pologne a aussi une population agricole sensible au sujet Il faut s’attendre à ce que le soutien de ceux qui sont moins exposés sur ce sujet soit éventuellement récompensé dans d’autres négociations.