MERCOSUR-menage

MERCOSUR-menage

25 November 2024 Off By EG

Partout en Europe, comme en Pologne, l’hiver semble annoncer de nouvelles actions du secteur agricole. MalgrĂ© les promesses, et surtout les reculs lĂ©gislatifs comme sur le règlement interdisant le commerce de produits issus de la dĂ©forestation, que l’Union s’apprĂŞte Ă  amender afin de repousser d’un an la mise en application, la dĂ©tresse du monde paysan n’est toujours pas rĂ©sorbĂ©e. 

En France, en particulier, surtout Ă  l’orĂ©e des Ă©lections professionnelles, la mobilisation reprend – mais sur des bases diffĂ©rentes, souligne François Purseigle dans un entretien Ă  MĂ©diapart. Comme chez ses voisins, mais plus fort encore, c’est l’accord de libre-Ă©change avec le Mercosur, et la concurrence internationale avec de grandes puissances agricoles comme le BrĂ©sil qu’il implique, qui cristallise les craintes et les tensions. 

TĂ©moin de cette tension, la position de la France sur ce dossier est un des rares sujets qui fait consensus dans le pays. Plus de 600 parlementaires, d’horizons politiques, divers ont dĂ©jĂ  affichĂ© leur opposition dans une tribune au Monde. Cet accord est dĂ©jĂ  un vieux dossier dont les discussions ont commencĂ© en 1999 et avaient dĂ©bouchĂ© sur un premier compromis en 2019. Il avait Ă©tĂ© abandonnĂ© du fait d’une vive opposition notamment dĂ©jĂ  de la part de Paris (cf. EIH 11/2/24). 

La conclusion de l’accord a Ă©tĂ© remise sur la table Ă  la faveur d’un contexte gĂ©opolitique plus favorable avec l’élection de Lula au BrĂ©sil. Ursula von der Leyen espère profiter de l’agenda diplomatique de fin d’annĂ©e (G20 au BrĂ©sil en novembre, sommet du Mercosur en dĂ©cembre) pour faire avancer les nĂ©gociations dans la perspective d’une signature. CĂ´tĂ© brĂ©silien, en revanche, l’enthousiasme retombe un peu, note Le Monde. Cela est notamment dĂ» Ă  la part croissante de la Chine dans le commerce extĂ©rieur. 

Le Club des juristes revient en dĂ©tail sur le contenu de l’accord, en particulier les fameuses “clauses miroir” invoquĂ©es dans les mĂ©dias français, mais qui n’apparaissent pas dans le texte. Il s’agirait d’imposer aux signataires les mĂŞmes normes de production que sur le territoire de l’UE. Un deal-breaker Ă©vident pour les Etats du Mercosur. L’UE doit pouvoir imposer des règles Ă  ses partenaires commerciaux, comme le mĂ©canisme d’ajustement aux frontières ou le règlement sur la dĂ©forestation importĂ©e. 

Comme en 2019, la France s’oppose vivement Ă  la signature du traitĂ© “en l’état”, sur fond de crise agricole. Des craintes que la Commission europĂ©enne “peine Ă  rassurer”, souligne une analyse de Contexte. L’accord supposerait l’arrivĂ©e massive de denrĂ©es alimentaires sud-amĂ©ricaines sur le marchĂ© français, une “concurrence dĂ©loyale” pour les filières agricoles, car produites avec des normes environnementales et sanitaires moins strictes. Pire, il permettrait mĂŞme de rĂ©importer sur le marchĂ© europĂ©en des denrĂ©es agricoles produites avec des substances phytosanitaires interdites dans l’UE, mais toujours autorisĂ©es Ă  l’export. Le projet prĂ©voit par exemple la possibilitĂ© pour les Ă©leveurs sud-amĂ©ricains d’exporter chaque annĂ©e en Europe 160 000 tonnes de bĹ“uf avec des droits de douane rĂ©duits ou nuls. Pour comparaison, l’Europe a importĂ© 351 000 tonnes de viande bovine en 2023. 

L’opposition du monde agricole est soutenue par les milieux Ă©cologistes qui craignent de leur cĂ´tĂ© que l’accord ne pousse les pays du Mercosur Ă  augmenter leurs capacitĂ©s de production. Notamment en dĂ©boisant la forĂŞt amazonienne pour y installer des pâturages. 

LES RAISINS DE LA DISCORDE 

“Viande contre voiture” : l’accord du Mercosur ne se limite pas au volet agricole.  Il est considĂ©rĂ© comme nĂ©cessaire pour des secteurs industriels europĂ©ens en grande difficultĂ© – comme l’automobile (cf. EIH 11/11/24). D’autres acteurs pointent ainsi les bĂ©nĂ©fices de l’accord pour l’économie française et europĂ©enne. L’économiste Emmanuel Combe expose dans Les Echos les 5 raisons pour lesquelles il faudrait soutenir l’accord :

  • S’assurer des dĂ©bouchĂ©s dans un contexte de montĂ©e du protectionnisme et la signature de cet accord est la dernière occasion de le faire. 
  • Barrer la route Ă  la Chine dont la part de marchĂ© en AmĂ©rique du sud ne fait que croĂ®tre. 
  • Diversifier ses sources d’approvisionnement en minerais stratĂ©giques et avoir un accès privilĂ©giĂ© au cobalt, graphite et lithium de la zone. 
  • Ouvrir un nouveau marchĂ© pour des filières clĂ©s en France : vins, spiritueux, automobile, chimie, etc. 
  • Les importations de volaille et de bĹ“uf prĂ©vues par l’accord pèsent peu dans le total consommĂ© par l’Europe (1,2% pour le bĹ“uf par exemple). 

L’Espagne et le Portugal qui ont des liens historiques et culturels forts avec le Mercosur et l’Allemagne pour des raisons Ă©conomiques dĂ©fendent  l’accord.  L’Allemagne y voit une opportunitĂ© industrielle avec un nouveau marchĂ© d’exportation pour ses voitures, alors que la consommation chinoise est en berne et que les États-Unis risquent d’augmenter leurs droits de douane avec le retour de Trump. Le Premier ministre espagnol a rappelĂ© son engagement pour pousser le traitĂ© auprès de ses partenaires.  

La France cherche Ă  bloquer l’accord mais ne peut rien seule. Il lui faut pour cela convaincre certains de ses partenaires. La Pologne, l’Autriche, les Pays-Bas et l’Irlande ont exprimĂ© par le passĂ© leurs inquiĂ©tudes vis-Ă -vis de l’accord, tout comme l’Italie rĂ©cemment. 

Le vote au Conseil europĂ©en Ă©tant Ă  majoritĂ© qualifiĂ©e, la France doit trouver une minoritĂ© de blocage.  Le site Contexte analyse le rapprochement avec la Pologne et l’Italie dans cette perspective. L’Italie de Giorgia Meloni a ainsi annoncĂ© en faire “une bataille commune”. 

Cependant, la constitution d’une coalition politique au Conseil ne se limite jamais au dossier directement concerné. Si la Pologne a aussi une population agricole sensible au sujet Il faut s’attendre à ce que le soutien de ceux qui sont moins exposés sur ce sujet soit éventuellement récompensé dans d’autres négociations.