
Censure
On l’oublie trop souvent, surtout pour dénoncer le « déficit démocratique persistant » de l’UE, mais les institutions européennes fonctionnent sur le modèle d’une démocratie parlementaire. A son paragraphe 8, l’article 17 du Traité prévoit la possibilité pour le Parlement de renverser, collectivement, la Commission européenne – qu’il a investie en début de mandat. Pour qu’une motion de censure puisse être déposée, elle doit être initiée par au moins un dixième des députés européens, soit 72 sur les 720 que compte actuellement le Parlement. Elle doit évidemment être accompagnée d’une justification.
Pour être adoptée, elle doit réunir les deux-tiers des suffrages, ce qui suppose un discrédit général de la Commission, comme celle de Jacques Santer en 1999 qui avait préféré démissionner avant de subir l’humiliation d’un vote de défiance assuré devant les affaires de corruption qui plombaient son mandat..
Hors ces circonstances extrêmes, c’est donc un outil au service des parlementaires pour signaler des désaccords politiques avec la gestion et l’orientation prises par la Commission. Tous les présidents de Commission en ont subi une au moins. Sans conséquence, pour la majorité.
Le jeudi 10 juillet dernier, Ursula von der Leyen a donc survécu à une motion de censure du Parlement européen. Sans surprise. Comme pour celle contre Jean-Claude Juncker pour cause de LuxLeaks en 2014, la défiance n’a pas contaminé le bloc central. D’autant que la motion provenait des eurodéputés d’extrême-droite (PfE), et d’une partie du groupe ECR. Elle rassemblait les griefs du PfizerGate (EIH 9/6/25) suite au refus de la présidente de la Commission Européenne de divulguer le contenu de ses SMS échangés au moment de la commande européennes des vaccins, et aussi l’accusation, répétée à l’extrême-droite, d’« ingérences illicites » dans l’élection présidentielle roumaine.
Mais son intérêt politique est significatif. Quoique marginale dans ses motifs et ses soutiens, cette motion, malgré son échec, a été l’occasion pour certains groupes d’une mise en garde face aux méthodes de gestion d’une « hyperprésidente » qui pousse ses prérogatives aux limites des équilibres institutionnels, comme l’analysait le site Contexte qui souligne qu’elle a « développé, avec son fidèle directeur de cabinet, un système de concentration des pouvoirs inédit au sein de l’exécutif ».
Dans une analyse à charge mais pertinente, l’ancien conseiller de J. Borrell, G. Duval fait le tour des problèmes que posent la gestion personnelle et centralisée de la présidente : hyperatlantisme et alignement total sur l’ancien président démocrate, ce qui renforce l’impréparation à la nouvelle donne trumpienne, soutien inconditionnel au gouvernement Netanyahu, malgré ses dérives, ce qui donne corps à l’accusation de double standard et relativise la cause ukrainienne, centralisation excessive, absence totale de convictions en matière d’écologie ou de social…. Le réquisitoire résume bien la frustration de la gauche pro-européenne à l’égard de la présidente.
Cette motion a ainsi révélé une tension montante entre les deux groupes du bloc central (S&D et PPE), en particulier la frustration des sociaux-démocrates devant le recours très fréquent du centre-droit à des alliances de circonstances avec la droite radicale, voire extrême, au Parlement. Car voter contre la motion de censure ne signifie pas approuver ce que fait la présidente de la Commission, ni lui laisser « un blanc-seing », selon les mots du groupe S&D. En effet, les soutiens à gauche de la Commission (S&D et Verts/ALE) fustigent notamment les reculs de la Commission sur les enjeux environnementaux, ce qui laisse d’ailleurs la commissaire Teresa Ribera fortement esseulée, comme le note Politico. Les soutiens libéraux de la Commission du groupe Renew s’inquiètent eux des reculs dans l’agenda pro-UE et des alliances à l’extrême-droite.
Mais cette motion a aussi semé la division aussi dans les groupes de la droite radicale : au sein du groupe ECR elle a opposé la puissante délégation polonaise du PiS soutenue par les Roumains (AUR) aux Fratelli d’Italia de la PM Giorgia Meloni – qui elle n’a rien à reprocher à la Commission von der Leyen, ni au PPE, au contraire, puisqu’elle se retrouve souvent en position très confortable d’arbitre.
Le juriste et observateur européen Alberto Alemanno estime ainsi que même si von der Leyen conserve l’appui de la majorité des députés, sa crédibilité et son image sont durablement atteintes. Le débat souligne l’émergence d’une demande accrue de responsabilité démocratique au-delà des divisions politiques traditionnelles.
Loin des fantasmes sur la technocratie européenne apatride et sans âme, les débats institutionnels prouvent que l’UE se construit, maladroitement mais assurément, comme un régime parlementaire. Au prix, inévitable, de sa polarisation.