Censure

Censure

21 July 2025 Off By EG

On l’oublie trop souvent, surtout pour dĂ©noncer le « dĂ©ficit dĂ©mocratique persistant Â» de l’UE, mais les institutions europĂ©ennes fonctionnent sur le modèle d’une dĂ©mocratie parlementaire. A son paragraphe 8, l’article 17 du TraitĂ© prĂ©voit la possibilitĂ© pour le Parlement de renverser, collectivement, la Commission europĂ©enne – qu’il a investie en dĂ©but de mandat. Pour qu’une motion de censure puisse ĂŞtre dĂ©posĂ©e, elle doit ĂŞtre initiĂ©e par au moins un dixième des dĂ©putĂ©s europĂ©ens, soit 72 sur les 720 que compte actuellement le Parlement. Elle doit Ă©videmment ĂŞtre accompagnĂ©e d’une justification.

Pour être adoptée, elle doit réunir les deux-tiers des suffrages, ce qui suppose un discrédit général de la Commission, comme celle de Jacques Santer en 1999 qui avait préféré démissionner avant de subir l’humiliation d’un vote de défiance assuré devant les affaires de corruption qui plombaient son mandat..

Hors ces circonstances extrêmes, c’est donc un outil au service des parlementaires pour signaler des désaccords politiques avec la gestion et l’orientation prises par la Commission. Tous les présidents de Commission en ont subi une au moins. Sans conséquence, pour la majorité.

Le jeudi 10 juillet dernier, Ursula von der Leyen a donc survĂ©cu Ă  une motion de censure du Parlement europĂ©en. Sans surprise. Comme pour celle contre Jean-Claude Juncker pour cause de LuxLeaks en 2014, la dĂ©fiance n’a pas contaminĂ© le bloc central. D’autant que la motion provenait des eurodĂ©putĂ©s d’extrĂŞme-droite (PfE), et d’une partie du groupe ECR. Elle rassemblait les griefs du PfizerGate (EIH 9/6/25) suite au refus de la prĂ©sidente de la Commission EuropĂ©enne de divulguer le contenu de ses SMS Ă©changĂ©s au moment de la commande europĂ©ennes des vaccins, et aussi l’accusation, rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  l’extrĂŞme-droite, d’« ingĂ©rences illicites Â» dans l’élection prĂ©sidentielle roumaine.

Mais son intĂ©rĂŞt politique est significatif. Quoique marginale dans ses motifs et ses soutiens, cette motion, malgrĂ© son Ă©chec, a Ă©tĂ© l’occasion pour certains groupes d’une mise en garde face aux mĂ©thodes de gestion d’une « hyperprĂ©sidente Â» qui pousse ses prĂ©rogatives aux limites des Ă©quilibres institutionnels, comme l’analysait le site Contexte qui souligne qu’elle a « dĂ©veloppĂ©, avec son fidèle directeur de cabinet, un système de concentration des pouvoirs inĂ©dit au sein de l’exĂ©cutif Â».

Dans une analyse Ă  charge mais pertinente, l’ancien conseiller de J. Borrell, G. Duval fait le tour des problèmes que posent la gestion personnelle et centralisĂ©e de la prĂ©sidente : hyperatlantisme et alignement total sur l’ancien prĂ©sident dĂ©mocrate, ce qui renforce l’imprĂ©paration Ă  la nouvelle donne trumpienne, soutien inconditionnel au gouvernement Netanyahu, malgrĂ© ses dĂ©rives, ce qui donne corps Ă  l’accusation de double standard et relativise la cause ukrainienne, centralisation excessive, absence totale de convictions en matière d’écologie ou de social…. Le rĂ©quisitoire rĂ©sume bien la frustration de la gauche pro-europĂ©enne Ă  l’égard de la prĂ©sidente.

Cette motion a ainsi rĂ©vĂ©lĂ© une tension montante entre les deux groupes du bloc central (S&D et PPE), en particulier la frustration des sociaux-dĂ©mocrates devant le recours très frĂ©quent du centre-droit Ă  des alliances de circonstances avec la droite radicale, voire extrĂŞme, au Parlement. Car voter contre la motion de censure ne signifie pas approuver ce que fait la prĂ©sidente de la Commission, ni lui laisser « un blanc-seing Â», selon les mots du groupe S&D. En effet, les soutiens Ă  gauche de la Commission (S&D et Verts/ALE) fustigent notamment les reculs de la Commission sur les enjeux environnementaux, ce qui laisse d’ailleurs la commissaire Teresa Ribera fortement esseulĂ©e, comme le note Politico. Les soutiens libĂ©raux de la Commission du groupe Renew s’inquiètent eux des reculs dans l’agenda pro-UE et des alliances Ă  l’extrĂŞme-droite.

Mais cette motion a aussi semĂ© la division aussi dans les groupes de la droite radicale : au sein du groupe ECR elle a opposĂ© la puissante dĂ©lĂ©gation polonaise du PiS soutenue par les Roumains (AUR) aux Fratelli d’Italia de la PM Giorgia Meloni – qui elle n’a rien Ă  reprocher Ă  la Commission von der Leyen, ni au PPE, au contraire, puisqu’elle se retrouve souvent en position très confortable d’arbitre.

Le juriste et observateur européen Alberto Alemanno estime ainsi que même si von der Leyen conserve l’appui de la majorité des députés, sa crédibilité et son image sont durablement atteintes. Le débat souligne l’émergence d’une demande accrue de responsabilité démocratique au-delà des divisions politiques traditionnelles.

Loin des fantasmes sur la technocratie européenne apatride et sans âme, les débats institutionnels prouvent que l’UE se construit, maladroitement mais assurément, comme un régime parlementaire. Au prix, inévitable, de sa polarisation.