Fumée brunâtre pour la nouvelle Commission
HABEMUS LEYEN II
Habemus Commission! Les cinéphiles observent que les “suites” sont souvent décevantes. La politique, qui tient aussi du spectacle, semble se conformer à cette règle universelle et tacite. Il y a fort à parier que ce soit le cas pour la nouvelle Commission Von der Leyen, investie la semaine dernière, pour un nouveau mandat jusqu’en 2029.
“Faible mais élargie”: c’est une majorité étrange qui soutient “Von der Leyen 2”. Avec 370 votes, soit 54%, c’est la plus faible des marges jamais obtenue par un Collège. Loin des 401 votes glanés par la Présidente pour sa reconduction le 18 juillet à la tête de l’institution. Entre temps, une partie des Verts (qui l’avaient soutenue en juillet) et des Socialistes (qui font pourtant partie du bloc central) ont fait défaut. Avec plus de 300 députés ont voté contre (282) ou se sont abstenus (36), cette Commission est bien plus mal élue qu’en 2019.
D’un autre côté, ces pertes sont partiellement compensées par le soutien d’une partie de la droite radicale, en particulier du groupe ECR. Sa composante italienne Fratelli d’Italia, peut célébrer l’investiture d’un des siens, Raffaele Fitto, devenu Vice-Président en charge des fonds de cohésion. Au sein du groupe ECR, 33 députés ont voté pour la Commission, y compris le FdI, tandis que 45 ont voté contre, se sont abstenus ou ont voté contre (le détail du vote nominal ici). Le mouvement le plus étrange, pour certains observateurs est venu du groupe des Verts. 27 ont voté pour le Collège, alors que 26 ont voté contre, se sont abstenus ou n’ont pas voté. 27 voix qui font toute la différence, et évitent à l’institution la crise d’une Commission invalidée. Les observateurs s’interrogent sur les contreparties (la nomination de l’ancien Co-Président du groupe auprès de la Présidente) ou des aspirations à faire partie d’une majorité dont ils avaient pourtant été exclus par les 3 autres.
Le Collège élu a également dû faire face à des divisions au sein des trois principaux groupes centristes, ainsi qu’à des groupes politiques divisés.
Cela annonce un chemin difficile pour tout programme, quelle que soit la direction politique qu’il prend. Un vote qui inquiète sur les capacités du Parlement à dégager des majorités stables et de la Commission à trouver les bons équilibres politiques dans ses propositions.
Il aura manqué aussi à “Von der Leyen 2” l’ensemble des voix du Partido Popular espagnol, pourtant membre de son parti le PPE. C’est la conclusion du psychodrame qui a accompagné les auditions de validation des Commissaires ces dernières semaines. La ministre socialiste espagnole, Teresa Ribera, désignée pour devenir Vice-Présidence en charge de la Concurrence et de la Soutenabilité (cf. EIH 24/11/24 et bis) a déclenché une opposition particulièrement véhémente venue de l’extrême-droite Vox (Patriots for Europe) qui a fait pression sur le PPE pour obtenir son invalidation.
Un mélange de coup politique intérieur, pour l’opposition au gouvernement Sanchez dont Ribera était encore membre, et une tentative de couvrir les incuries du gouvernement provincial de Valence dans la gestion de la catastrophique inondation fin octobre.
Dans cet exercice très codifié, les auditions finissent toujours par une victime sacrificielle, essentielle pour asseoir la légitimité politique du Parlement dans son rôle de contrôle démocratique de la Commission ou des Etats membres un peu encombrants, comme pour Sylvie Goulard en 2019, ou Rocco Buttiglione en 2004.
Pour s’en garantir, les grands groupes ont tendance à “prendre des otages” c’est à dire mettre dans la balance la désignation des autres candidats pour sécuriser les leurs. La leçon de cette séquence, c’est la capacité de l’ECR à avoir gagné le PPE à sa cause: les candidatures du parti de centre-droit n’étaient pas menacées, contrairement à celle de Raffaele Fitto, membre de Fratelli d’Italia (ECR). Le pat politique qui a suivi a été rompu par le groupe SD, dirigé par une présidente espagnole (Iratxe Garcia), malgré l’opposition interne, et s’est traduit par un accord tripartite de majorité entre PPE, SD et Renew.
Cet accord témoigne d’une nouvelle tendance politique dans l’UE: relâcher le cordon sanitaire autour des partis d’extrême droite dans l’UE, en introduisant ceux qui, comme le FdI, sont prêts à coopérer à Bruxelles.
Au sein de l’extrême droite, c’est également une victoire pour ceux qui, comme G. Meloni, pensent que travailler avec l’UE plutôt que contre elle peut faire avancer leur programme politique.