Le retour de l’homme de fer (Man of steel 2)

Le retour de l’homme de fer (Man of steel 2)

27 October 2025 Off By EG

La Commission europĂ©enne a prĂ©sentĂ©, le 7 octobre 2025, un ensemble de mesures destinĂ©es Ă  protĂ©ger l’industrie sidĂ©rurgique europĂ©enne, durement touchĂ©e par la concurrence Ă©trangère, en particulier chinoise, et par la surcapacitĂ© mondiale (ES 6/10/25).  En effet, le secteur traverse une crise profonde : baisse de la demande, coĂ»ts Ă©nergĂ©tiques Ă©levĂ©s, concurrence jugĂ©e dĂ©loyale et pressions sur la transition Ă©cologique. En 2024, 18 000 emplois directs ont Ă©tĂ© supprimĂ©s et les sites tournent en moyenne Ă  70% de leurs capacitĂ©s. Les grands groupes comme ArcelorMittal et ThyssenKrupp envisagent de nouvelles rĂ©ductions d’effectifs ou des restructurations. 

Face Ă  cette situation, la Commission propose de remplacer la clause de sauvegarde actuelle, en vigueur depuis 2018 et prolongĂ©e jusqu’en 2026, par un mĂ©canisme pĂ©renne combinant plusieurs leviers : les droits de douane sur l’acier importĂ© passeront de 25% Ă  50%, les quotas d’importation sans surtaxe seront rĂ©duits de moitiĂ©, Ă  environ 18 millions de tonnes par an, pour l’ensemble des 27 États membres. 

StĂ©phane SĂ©journĂ©, vice-prĂ©sident de la Commission chargĂ© de la ProspĂ©ritĂ© et de la stratĂ©gie industrielle, insiste sur le fait que cette politique ne cherche pas Ă  imiter le protectionnisme amĂ©ricain. L’objectif est de prĂ©server la souverainetĂ© industrielle europĂ©enne, pilier stratĂ©gique pour l’automobile, la construction et la dĂ©fense. Selon lui, le marchĂ© europĂ©en deviendra majoritairement domestique, laissant un peu plus de 10% ouvert Ă  la concurrence internationale. 

Pour limiter les contournements, la Commission renforcera la dĂ©finition de l’origine des produits : l’acier sera dĂ©sormais considĂ©rĂ© comme europĂ©en uniquement si les minerais ont Ă©tĂ© effectivement transformĂ©s sur le territoire de l’UE. L’objectif est d’empĂŞcher la rĂ©exportation d’acier chinois via des pays tiers comme la Turquie, l’IndonĂ©sie ou le Vietnam. Les États-Unis, qui appliquent dĂ©jĂ  des droits de 50% sur l’acier europĂ©en, seront Ă©galement soumis Ă  la mĂŞme taxe mais sans quotas. Ceci permet une marge de nĂ©gociation dans le cadre de l’« alliance sur les mĂ©taux » envisagĂ©e avec Washington. Le quota restant sera attribuĂ© Ă  des partenaires jugĂ©s fiables, tels que la Norvège ou le Canada. 

Comme le soulignent les observateurs assidus, tel Eurointelligence.com la grande crise existentielle de ce tiers de siècle pour l’économie europĂ©enne prend la forme d’un Ă©tau. D’un cĂ´tĂ©, une force imparable, et de l’autre, un obstacle infranchissable. L’obstacle infranchissable, ce sont les droits de douane imposĂ©s par l’administration Trump. Mais c’est la force imparable qui pourrait ĂŞtre la vĂ©ritable source d’inquiĂ©tude. La Chine joue le jeu mercantiliste industriel europĂ©en, mais Ă  une Ă©chelle plus massive et plus ciblĂ©e (ES 6/10/25).

Les mesures protectionnistes proposĂ©es par la Commission ont pour objectif de sĂ©curiser environ 300 000 emplois dans le secteur et de soutenir les grands producteurs dans leurs investissements, notamment pour la dĂ©carbonation de leurs sites. ArcelorMittal a suspendu certains projets de rĂ©duction de carbone et annoncĂ© la suppression de 600 postes dans le nord de la France, attendant que la Commission mette en place le nouveau cadre. Le surcoĂ»t estimĂ© pour les consommateurs reste modĂ©ré : environ 50 € supplĂ©mentaires pour une voiture et 1 € pour une machine Ă  laver. La Commission accompagne ce plan d’autres initiatives : rĂ©forme des marchĂ©s publics pour favoriser l’acier europĂ©en, crĂ©ation d’un label pour l’acier bas carbone, plan de soutien Ă  l’industrie automobile et modification du mĂ©canisme d’ajustement carbone aux frontières pour Ă©viter les contournements.

L’ensemble de ces mesures devra ĂŞtre validĂ© par le Parlement europĂ©en et les États membres. Avec le soutien attendu de pays comme la France, l’Italie, l’Espagne et la Pologne, tandis que l’Allemagne observe encore l’impact potentiel sur ses constructeurs automobiles. Si ces mesures offrent un rĂ©pit aux sidĂ©rurgistes et constituent un outil important pour faire face Ă  la surcapacitĂ© mondiale, elles ne suffisent pas Ă  rĂ©soudre tous les problèmes structurels du secteur. Selon de nombreux Ă©conomistes, les dirigeants politiques ont tendance Ă  attribuer trop facilement les difficultĂ©s industrielles Ă  la surcapacitĂ©, sans prendre en compte d’autres problèmes structurels, et le secteur de l’acier ne fait pas exception. 

Les coĂ»ts Ă©levĂ©s de l’énergie constituent un enjeu tout aussi crucial : les procĂ©dĂ©s de production dĂ©carbonĂ©s demandent gĂ©nĂ©ralement beaucoup plus d’électricitĂ© que les mĂ©thodes traditionnelles.

Ainsi, produire de l’acier vert nĂ©cessite en moyenne trois Ă  quatre fois plus d’électricitĂ© qu’avec des hauts fourneaux classiques, tandis que la fabrication de ciment durable en requiert au moins deux fois plus. En 2024, le prix de l’électricitĂ© dans l’UE Ă©tait 2,2 fois supĂ©rieur Ă  celui des États-Unis et deux fois plus Ă©levĂ© qu’en Chine, en raison de la dĂ©pendance aux combustibles fossiles importĂ©s, des lacunes dans les infrastructures Ă©lectriques et du poids des taxes et redevances.

Ces coĂ»ts reprĂ©sentent un frein important Ă  la compĂ©titivitĂ© industrielle et doivent ĂŞtre abordĂ©s parallèlement aux mesures de protection commerciale. La dĂ©carbonation exige Ă©galement des investissements coĂ»teux, mais le capital disponible est limitĂ© par la surcapacitĂ© mondiale qui pèse sur les prix et par la fragmentation du système financier europĂ©en. Selon Anna Crawford, chercheuse au European policy Centre (EPC) Ă  Bruxelles, les mesures protectionnistes de l’UE peuvent libĂ©rer des ressources pour la transition Ă©cologique. Cependant, elles resteront insuffisantes si les problèmes structurels liĂ©s Ă  l’énergie et au financement ne sont pas rĂ©solus.

Ainsi, la Commission europĂ©enne cherche Ă  concilier protection du marchĂ©, souverainetĂ© industrielle et transition Ă©cologique tout en assurant la compĂ©titivitĂ© et la pĂ©rennitĂ© d’un secteur clĂ© pour l’économie europĂ©enne (ES 6/10/25).