La Forteresse
On votait aux Pays-Bas le mercredi 29 octobre 2025. Et pour cette fois, l’extrême droite a reculé. Le dernier gouvernement Rutte avait dû démissionner, du fait de tensions sur les questions migratoires, ouvrant la voie après les élections de 2023 à la victoire du PVV de G. Wilders (ES 3/12/23). C’est encore sur l’immigration que ce même gouvernement a chuté en juillet dernier, lorsque l’extrême-droite du PVV a réclamé un durcissement de la politique migratoire, en vain, avant de quitter la coalition qu’il menait.
Comme le note une analyse récente du Green European Journal, malgré une immigration modérée et une intégration réussie, les Pays-Bas restent obsédés par la migration. Ce sujet, devenu central depuis Pim Fortuyn, structure une culture politique de confrontation nourrie par les populistes de droite comme Geert Wilders. Les partis traditionnels, divisés et sans récit clair, ont laissé la peur s’imposer. Les médias, amplifiant les statistiques ethniques et la « crise migratoire », entretiennent un sentiment de panique morale.
Cette « migranticisation » détourne les frustrations sociales (logement, économie, identité) et mine la confiance démocratique. L’article plaide pour un discours lucide : reconnaître le besoin structurel de migration plutôt que de la traiter comme un bouc émissaire.
Sur ce sujet, les Pays Bas sont une illustration éloquente des obsessions européennes. Comme le rappelle Médiapart, depuis dix ans, les initiatives européennes et nationales ont concentré leurs efforts sur la limitation des flux, souvent au détriment de la protection des droits fondamentaux. Cette stratégie, motivée par la peur et le contrôle, transforme l’accueil en barrage bureaucratique, alimente les drames en mer et sur terre, et souligne les contradictions d’une Europe qui se barricade face aux exilés.
L’annĂ©e 2024 avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© la plus meurtrière pour les candidats Ă la migration dans le monde entier, avec des estimations Ă près de 10.000 dĂ©cès juste pour la route atlantique vers les Canaries espagnoles – un problème devenu structurel depuis 2023 (ES 5/11/23). Depuis la crise de l’accueil des rĂ©fugiĂ©s en 2015, l’UE n’a cessĂ© de chercher Ă restreindre les flux migratoires en provenance du sud. Jusqu’Ă mener des politiques directement contradictoires Ă ses valeurs fondamentales et Ă son dĂ©clin dĂ©mographique. Depuis 2020, l’UE multiplie les accords avec des rĂ©gimes autoritaires pour bloquer les dĂ©parts — Tunisie, Libye, Mauritanie. Elle se dĂ©place doucement vers un positionnement plus uniforme, mais continue de naviguer entre enjeux de droits humains, logiques de contrĂ´le et tensions entre États membres.
Ainsi elle cherche depuis la rentrée 2025 à renforcer le mandat de Frontex, en élargissant le rôle de l’agence pour intensifier la coopération avec des pays tiers dans la gestion des migrations ; organiser des renvois forcés entre pays tiers, une option jusqu’ici rejetée par le Parlement européen en 2016 et 2019; et confier à Frontex un rôle dans des « plateformes d’expulsion » installées hors de l’Union.
Ces choix, dictĂ©s par la peur politique plutĂ´t que par la rĂ©alitĂ© Ă©conomique, contredisent ses principes humanistes et ignorent son vieillissement rapide : l’Europe ferme ses portes alors mĂŞme qu’elle manque de bras pour faire vivre ses sociĂ©tĂ©s vieillissantes (ES 22/9/22). Une “injonction contradictoire” probablement le mieux illustrĂ©e par la politique du gouvernement Meloni en Italie (ES 27/8/23) – comme le note The Economist dans un parallèle entre discours d’opposition populiste et action une fois en responsabilitĂ©. Cette tension en matière de politique migratoire s’illustre tout particulièrement sur la route mĂ©diterranĂ©enne centrale avec la Libye oĂą l’UE a externalisĂ© la garde de sa frontière avec l’agence Frontex.
En effet, le renvoi massif de migrants dans des centres de dĂ©tention libyens Ă©tait dĂ©jĂ en juillet pointĂ© du doigt par Amnesty International sur les violations de droits humains constatĂ©es par l’ONU.
Malte est un de ces théâtres de refoulement vers la Libye des migrants tentant d’accoster sur l’Ă®le. Ils voient bien souvent leurs appels de dĂ©tresse ignorĂ©s dans la zone de recherche et de sauvetage (SAR) de Malte. Cette volontĂ© de se barricader suit une dynamique politique europĂ©enne qui s’est illustrĂ©e dans les urnes des Ă©lections europĂ©ennes de 2024. En consĂ©quence, nous retrouvons dans la politique intĂ©rieure des pays d’Europe une politique migratoire qui ne cesse de se durcir.
En Grèce, l’afflux de migrants en Crète crĂ©e une situation de prĂ©caritĂ© accrue dans les infrastructures prĂ©vues pour leur accueil tout en provoquant un arrĂŞt de rĂ©ception des demandes d’asile en provenance d’Afrique du Nord. Cet arrĂŞt Ă l’initiative du ministre des Migrations, Thanos Plevris, s’inscrit dans la continuitĂ© d’une politique conservatrice et rĂ©pressive verrouillant les ONG humanitaires.
La position des pays des Balkans les a rĂ©duits Ă l’Ă©tat de zone tampon migratoire ce qui en fait un enjeu stratĂ©gique dans la gestion des flux. Les accords bilatĂ©raux signĂ©s avec l’Union europĂ©enne ont renforcĂ© la prĂ©sence de Frontex en Serbie, en Bosnie-HerzĂ©govine et en MacĂ©doine du Nord. Si Frontex fait Ă©tat d’une baisse de 76 % des traversĂ©es irrĂ©gulières au premier semestre 2024, cette apparente rĂ©ussite masque une rĂ©alitĂ© plus sombre : des milliers de personnes sont aujourd’hui bloquĂ©es dans des camps insalubres, sans accès Ă une procĂ©dure d’asile digne de ce nom. Une analyse du think tank Bruegel des flux migratoires des Balkans occidentaux vers l’Allemagne, dĂ©clenchĂ©s notamment par le « Western Balkan Regulation » de 2015 montre que si l’émigration entraĂ®ne des bĂ©nĂ©fices Ă©conomiques pour la rĂ©gion d’origine — transferts de fonds, investissements, diaspora — elle crĂ©e aussi des pertes majeures : dĂ©peuplement, dĂ©sĂ©quilibres dĂ©mographiques et perte des compĂ©tences dans des secteurs-clĂ©s comme la santĂ© et la construction. L’étude recommande des rĂ©formes structurelles dans l’emploi, l’éducation et l’état de droit dans les pays des Balkans, et encourage un usage stratĂ©gique des liens croisĂ©s, retour des savoir‑faire, investissements transfrontaliers, capital humain diaspora, afin que la mobilitĂ© devienne vectrice de dĂ©veloppement.
Le sommet de Londres du 8 octobre 2025, prĂ©voyait un plan Ă 13 millions destinĂ© Ă lutter contre les rĂ©seaux de passeurs dans la rĂ©gion. Plusieurs États europĂ©ens comme le Royaume-Uni et l’Italie envisagent ou appliquent dĂ©jĂ des accords de rĂ©admission prĂ©voyant le transfert de demandeurs d’asile dĂ©boutĂ©s vers des pays tiers. L’ONG Human Right Watch dĂ©nonce l’utilisation de ces pays comme d’un “entrepĂ´t Ă migrants” en se rĂ©fĂ©rant Ă l’externalisation de l’accueil des rĂ©fugiĂ©s comme c’est le cas de l’Albanie en faveur de l’Italie.
