La Forteresse

La Forteresse

4 November 2025 Off By EG

On votait aux Pays-Bas le mercredi 29 octobre 2025. Et pour cette fois, l’extrême droite a reculé. Le dernier gouvernement Rutte avait dû démissionner, du fait de tensions sur les questions migratoires, ouvrant la voie après les élections de 2023 à la victoire du PVV de G. Wilders (ES 3/12/23). C’est encore sur l’immigration que ce même gouvernement a chuté en juillet dernier, lorsque l’extrême-droite du PVV a réclamé un durcissement de la politique migratoire, en vain, avant de quitter la coalition qu’il menait.

Comme le note une analyse rĂ©cente du Green European Journal, malgrĂ© une immigration modĂ©rĂ©e et une intĂ©gration rĂ©ussie, les Pays-Bas restent obsĂ©dĂ©s par la migration. Ce sujet, devenu central depuis Pim Fortuyn, structure une culture politique de confrontation nourrie par les populistes de droite comme Geert Wilders. Les partis traditionnels, divisĂ©s et sans rĂ©cit clair, ont laissĂ© la peur s’imposer. Les mĂ©dias, amplifiant les statistiques ethniques et la « crise migratoire », entretiennent un sentiment de panique morale.

Cette « migranticisation Â» dĂ©tourne les frustrations sociales (logement, Ă©conomie, identitĂ©) et mine la confiance dĂ©mocratique. L’article plaide pour un discours lucide : reconnaĂ®tre le besoin structurel de migration plutĂ´t que de la traiter comme un bouc Ă©missaire. 

Sur ce sujet, les Pays Bas sont une illustration Ă©loquente des obsessions europĂ©ennes. Comme le rappelle MĂ©diapart, depuis dix ans, les initiatives europĂ©ennes et nationales ont concentrĂ© leurs efforts sur la limitation des flux, souvent au dĂ©triment de la protection des droits fondamentaux. Cette stratĂ©gie, motivĂ©e par la peur et le contrĂ´le, transforme l’accueil en barrage bureaucratique, alimente les drames en mer et sur terre, et souligne les contradictions d’une Europe qui se barricade face aux exilĂ©s. 

L’annĂ©e 2024 avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© la plus meurtrière pour les candidats Ă  la migration dans le monde entier, avec des estimations Ă  près de 10.000 dĂ©cès juste pour la route atlantique vers les Canaries espagnoles – un problème devenu structurel depuis 2023 (ES 5/11/23). Depuis la crise de l’accueil des rĂ©fugiĂ©s en 2015, l’UE n’a cessĂ© de chercher Ă  restreindre les flux migratoires en provenance du sud. Jusqu’Ă  mener des politiques directement contradictoires Ă  ses valeurs fondamentales et Ă  son dĂ©clin dĂ©mographique. Depuis 2020, l’UE multiplie les accords avec des rĂ©gimes autoritaires pour bloquer les dĂ©parts — TunisieLibyeMauritanie. Elle se dĂ©place doucement vers un positionnement plus uniforme, mais continue de naviguer entre enjeux de droits humains, logiques de contrĂ´le et tensions entre États membres.

Ainsi elle cherche depuis la rentrĂ©e 2025 Ă  renforcer le mandat de Frontex, en Ă©largissant le rĂ´le de l’agence pour intensifier la coopĂ©ration avec des pays tiers dans la gestion des migrations ; organiser des renvois forcĂ©s entre pays tiers, une option jusqu’ici rejetĂ©e par le Parlement europĂ©en en 2016 et 2019; et confier Ă  Frontex un rĂ´le dans des « plateformes d’expulsion » installĂ©es hors de l’Union.

Ces choix, dictĂ©s par la peur politique plutĂ´t que par la rĂ©alitĂ© Ă©conomique, contredisent ses principes humanistes et ignorent son vieillissement rapide : l’Europe ferme ses portes alors mĂŞme qu’elle manque de bras pour faire vivre ses sociĂ©tĂ©s vieillissantes (ES 22/9/22). Une “injonction contradictoire” probablement le mieux illustrĂ©e par la politique du gouvernement Meloni en Italie (ES 27/8/23) – comme le note The Economist dans un parallèle entre discours d’opposition populiste et action une fois en responsabilitĂ©. Cette tension en matière de politique migratoire s’illustre tout particulièrement sur la route mĂ©diterranĂ©enne centrale avec la Libye oĂą l’UE a externalisĂ© la garde de sa frontière avec l’agence Frontex.

En effet, le renvoi massif de migrants dans des centres de dĂ©tention libyens Ă©tait dĂ©jĂ  en juillet pointĂ© du doigt par Amnesty International sur les violations de droits humains constatĂ©es par l’ONU.

Malte est un de ces théâtres de refoulement vers la Libye des migrants tentant d’accoster sur l’Ă®le. Ils voient bien souvent leurs appels de dĂ©tresse ignorĂ©s dans la zone de recherche et de sauvetage (SAR) de Malte. Cette volontĂ© de se barricader suit une dynamique politique europĂ©enne qui s’est illustrĂ©e dans les urnes des Ă©lections europĂ©ennes de 2024. En consĂ©quence, nous retrouvons dans la politique intĂ©rieure des pays d’Europe une politique migratoire qui ne cesse de se durcir. 

En Grèce, l’afflux de migrants en Crète crĂ©e une situation de prĂ©caritĂ© accrue dans les infrastructures prĂ©vues pour leur accueil tout en provoquant un arrĂŞt de rĂ©ception des demandes d’asile en provenance d’Afrique du Nord.  Cet arrĂŞt Ă  l’initiative du ministre des Migrations, Thanos Plevris, s’inscrit dans la continuitĂ© d’une politique conservatrice et rĂ©pressive verrouillant les ONG humanitaires.  

La position des pays des Balkans les a rĂ©duits Ă  l’Ă©tat de zone tampon migratoire ce qui en fait un enjeu stratĂ©gique dans la gestion des flux. Les accords bilatĂ©raux signĂ©s avec l’Union europĂ©enne ont renforcĂ© la prĂ©sence de Frontex en Serbie, en Bosnie-HerzĂ©govine et en MacĂ©doine du Nord. Si Frontex fait Ă©tat d’une baisse de 76 % des traversĂ©es irrĂ©gulières au premier semestre 2024, cette apparente rĂ©ussite masque une rĂ©alitĂ© plus sombre : des milliers de personnes sont aujourd’hui bloquĂ©es dans des camps insalubres, sans accès Ă  une procĂ©dure d’asile digne de ce nom. Une analyse du think tank Bruegel des flux migratoires des Balkans occidentaux vers l’Allemagne, dĂ©clenchĂ©s notamment par le « Western Balkan Regulation » de 2015 montre que si l’émigration entraĂ®ne des bĂ©nĂ©fices Ă©conomiques pour la rĂ©gion d’origine — transferts de fonds, investissements, diaspora — elle crĂ©e aussi des pertes majeures : dĂ©peuplement, dĂ©sĂ©quilibres dĂ©mographiques et perte des compĂ©tences dans des secteurs-clĂ©s comme la santĂ© et la construction. L’étude recommande des rĂ©formes structurelles dans l’emploi, l’éducation et l’état de droit dans les pays des Balkans, et encourage un usage stratĂ©gique des liens croisĂ©s, retour des savoir‑faire, investissements transfrontaliers, capital humain diaspora, afin que la mobilitĂ© devienne vectrice de dĂ©veloppement.

Le sommet de Londres du 8 octobre 2025, prĂ©voyait un plan Ă  13 millions destinĂ© Ă  lutter contre les rĂ©seaux de passeurs dans la rĂ©gion. Plusieurs États europĂ©ens comme le Royaume-Uni et l’Italie envisagent ou appliquent dĂ©jĂ  des accords de rĂ©admission prĂ©voyant le transfert de demandeurs d’asile dĂ©boutĂ©s vers des pays tiers. L’ONG Human Right Watch dĂ©nonce l’utilisation de ces pays comme d’un “entrepĂ´t Ă  migrants” en se rĂ©fĂ©rant Ă  l’externalisation de l’accueil des rĂ©fugiĂ©s comme c’est le cas de l’Albanie en faveur de l’Italie.