L’Europe du foot
Parmi les révolutions invisibles portées par le droit européen il y a la transformation du football européen et des règles encadrant l’emploi des joueurs professionnels. Alors que la multiplication des compétitions, lucratives, au détriment de la santé des joueurs, suscite une défiance croissante de leur part, la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 4 octobre 2024, a bouleversé la règlementation en jugeant que certaines des règles de la FIFA, encadrant les transferts internationaux de joueurs professionnels, sont contraires au droit de l’Union européenne.
Au cœur du contentieux, se trouvent le Règlement sur le Statut et le Transfert des Joueurs de la FIFA, en particulier l’Article 17, applicable à tous les clubs affiliés. Ces règles imposent, en cas de rupture de contrat par un joueur sans « juste cause », des sanctions financières importantes ainsi que des interdictions de recrutement pour les clubs souhaitant signer avec le joueur concerné.
La FIFA impose également que l’ancien club puisse bloquer la délivrance du Certificat International de Transfert, nécessaire pour jouer dans un nouveau pays, tant que le différend n’est pas résolu. La CJUE estime que ces dispositions créent des obstacles majeurs à la libre circulation des joueurs au sein de l’UE et seraient donc contraires à l’Article 45 TFUE. Cet article garantit que les citoyens européens ont le droit de se déplacer librement pour travailler dans un autre État membre, sans discrimination fondée sur la nationalité. Depuis une jurisprudence constante, les footballeurs professionnels sont considérés comme étant des travailleurs au sens de cet article. C’était la “révolution”, apportée en son temps, par le fameux arrêt Bosman, il y a 30 ans.
Ainsi, en raison des risques financiers et sportifs imprĂ©visibles encourus du fait du Règlement sur le Statut et le Transfert des Joueurs de la FIFA, les clubs et joueurs sont dissuadĂ©s d’envisager des transferts internationaux, et donc d’exercer leur libertĂ© de circulation en tant que travailleur. De plus, les clubs sont dĂ©couragĂ©s de recruter des joueurs qui risquent d’être impliquĂ©s dans des litiges liĂ©s Ă la rupture de contrat, crĂ©ant ainsi une barrière supplĂ©mentaire Ă la mobilitĂ© des travailleurs. La CJUE a prĂ©cisĂ© que si des restrictions peuvent ĂŞtre justifiĂ©es par des objectifs d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral, comme la stabilitĂ© des effectifs ou l’équitĂ© des compĂ©titions, les règles de la FIFA vont au-delĂ de ce qui est nĂ©cessaire pour atteindre ces objectifs. Elles enfreignent le droit de l’UE et doivent donc ĂŞtre Ă©cartĂ©es par le juge national lorsqu’elles sont invoquĂ©es.
Outre la libertĂ© de circulation des travailleurs, la Cour de Justice de l’UE s’intĂ©resse aussi aux conditions de la concurrence extra-sportive entre les clubs de football du continent. Alors que 5 championnats Ă©crasent tout (4+1 si l’on Ă©value honnĂŞtement le niveau rĂ©el de la Ligue 1 française), la question de l’émancipation des grands clubs se pose rĂ©gulièrement au niveau sportif et au niveau judiciaire. Ainsi, la CJUE avait, fin 2023, Ă la grande surprise des observateurs, dĂ©montĂ© l’argumentaire de l’UEFA et de la FIFA qui s’opposaient alors Ă la crĂ©ation d’une superligue par quelques grands clubs continentaux. “Un nouvel arrĂŞt Bosman” selon ses partisans. Le quotidien sportif français l’Equipe propose une chronologie des pĂ©ripĂ©ties judiciaires et politiques de ce projet. La FIFA, en tant qu’entitĂ© rĂ©gissant le football Ă l’échelle mondiale, est soumise aux principes du droit de la concurrence de l’UE lorsqu’elle adopte des règles qui affectent directement le marchĂ© europĂ©en.
Dans l’affaire Diarra de ce 4 octobre 2024, les règlements de la FIFA, en empĂŞchant un club de recruter un joueur sous contrat avec un autre club ou accusĂ© d’avoir rompu son contrat de manière injustifiĂ©e, ressemblent Ă un accord de non-dĂ©bauchage.
En effet, les accords de non-débauchages (no-poach agreements) sont généralement, selon les spécificités, contraires au droit de la concurrence. Ils figent artificiellement le marché du travail en empêchant une mobilité fluide des talents. Ce type de pratique fige la répartition des joueurs entre clubs et cloisonne artificiellement les marchés nationaux et locaux. Elle est contraire au principe de concurrence par les mérites.
La FIFA est perçue comme une “association d’entreprises”, au sens du droit de l’Union, exerçant sur le marchĂ© du football professionnel. La Règlementation de la FIFA est donc une dĂ©cision d’association d’entreprise (une catĂ©gorie d’ententes anticoncurrentielles), prohibĂ©e par l’Article 101 du TFUE. La question du cadre rĂ©glementaire imposĂ© par la FIFA ne se limite pas seulement aux règles de transfert.
Un autre point de friction est apparu récemment concernant le calendrier international des matchs, une problématique qui touche directement à la capacité des clubs à organiser leurs activités. En effet, plusieurs syndicats de joueurs et ligues professionnelles, réunis sous la bannière de la Fédération Internationale des Associations de Footballeurs Professionnels (FIFPro), ont récemment déposé une plainte auprès de la Commission européenne.Ils dénoncent l’imposition par la FIFA d’un calendrier surchargé de matchs internationaux, sans concertation suffisante avec les clubs et les joueurs.
Cela affecte directement le marché du travail et les conditions de compétition. Les clubs se retrouvent privés de leurs meilleurs éléments pendant des périodes critiques, ce qui influence directement la compétition domestique et européenne. De plus, ils sont contraints de respecter ce calendrier, sous peine de sanctions, ce qui accentue leur dépendance à l’égard de la FIFA.
Le cas des règles de transfert et la plainte sur le calendrier international illustrent la manière dont la FIFA, en tant qu’organisation mondiale, exerce un contrôle considérable sur les clubs et les joueurs, souvent au mépris des principes de concurrence et de libre circulation garantis par le droit européen.
Si les règlements de la FIFA sont jugés contraires au droit de l’UE, comme ce fut le cas dans la présente décision, cela pourrait ouvrir la voie à une refonte complète des règles qui gouvernent les relations entre les clubs, les joueurs et les fédérations.
La CJUE s’affirme ainsi en tant qu’acteur clé dans la redéfinition du modèle de gouvernance du football mondial. Mêmes les organisations sportives internationales, ayant toujours opéré avec une large autonomie, doivent donc se plier au droit de l’UE. Les juges nationaux européens écarteront, à l’avenir, les règles de la FIFA incriminées.
Les règlementations économiques européennes prennent alors le pas sur ce que l’on pourrait appeler la souveraineté sportive. C’est un nouveau contentieux qui se développe, débouchant sur de nouveaux précédents, avec une CJUE proactive comme en témoigne l’Affaire European Super League de 2024.
Les actions en justice entamées par les concernés amènent le juge européen à redessiner les structures monopolistiques des grandes fédérations sportives et s’orienter vers une transformation du modèle footballistique européen.