
L’automobile européenne a-t-elle un avenir ?
Chapitre énième dans l’angoissante question du destin de cette industrie emblématique de la prospérité européenne des Trente Glorieuses et de la domination du modèle industriel allemand des années 2000. Alors que le président américain a confirmé ses intentions d’augmenter les tarifs douaniers sur les produits européens (cf. EIH 3/3/25), que la concurrence chinoise se fait plus pressante (cf. EIH 28/1/24), et que l’Union européenne prépare ses prochains objectifs de réduction des émissions de CO2 (cf. EIH 18/2/24), la menace sur la compétitivité du secteur de l’automobile est structurelle. C’est pourquoi le plan d’action de la Commission européenne pour une industrie qui représente 7% du PIB de l’UE était fortement attendu, autant des acteurs du secteur que des organisations environnementales.
L’automobile européenne rencontre actuellement de profondes difficultés. Sur ses exportations futures suite à l’annonce de frais de douanes s’élevant à 25 % aux frontières des USA. Bien que l’UE soit probablement moins affectéeque les exportations en provenance du Canada et du Mexique avec respectivement 75 % et 57 % de baisse de production, elle subira néanmoins de lourdes conséquences économiques pour des entreprises produisant aux États-Unis ou au Canada comme Volkswagen et Stellantis.
Face à la compétitivité des voitures électriques chinoises généralement moins chères et de meilleure qualité. Avec les normes européennes et l’objectif de production de voitures propres exclusivement, pour 2035. La réglementation en vigueur impose aux entreprises automobiles de réduire leurs émissions de carbone de 15 % en 2025 en se basant sur celles de 2021. L’industrie avait alors déclaré que les sanctions prévues par cette réglementation toucheraient le secteur à hauteur de 15 milliards d’euros d’amendes.
En réaction à l’appel des constructeurs automobiles à la suite du dialogue stratégique sur l’avenir de l’industrie automobile européenne, Ursula Von Der Leyen avait déclaré le 3 Mars 2025 : « Nous nous en tiendrons aux objectifs convenus en matière d’émissions, mais en adoptant une approche pragmatique et flexible ».
Un amendement avait été proposé pour allonger le calendrier des objectifs d’émission de carbone prévu pour 2025 sur 3 ans. Des critiques ont été prononcées envers cet assouplissement sur les émissions carbones, notamment par William Todts, directeur exécutif de l’ONG Transport & Environment, qui considère que la Commission européenne s’est trop précipitée dans sa décision. « L’industrie automobile est très douée pour brosser un tableau de la crise. Mais la réalité, c’est que l’industrie automobile a enregistré des bénéfices record ces dernières années », avait-il déclaré dans un entretien.
Il estime aussi que les constructeurs de voitures européens devraient avoir une vision sur le long terme à l’instar des entreprises chinoises pour rétablir leur compétitivité face à ces derniers. Que faire avec les géants économiques ou financiers structurant notre économie lorsqu’ils sont en péril ? La question s’était posée au moment de la crise des subprimes à propos des banques européennes. “Too big to fail” autrement dit tellement importantes que leur faillite, même méritée, nous coûterait beaucoup trop cher. L’industrie automobile européen est dans un cas similaire.
Le commissaire chargé du transport durable et du tourisme, Apostolos Tzitzikostas, a présenté le 5 mars 2025, un plan d’action visant à soutenir et renforcer l’industrie automobile. Ce plan est établi sur les cinq axes suivants :
- L’innovation et la numérisation : la Commission va initier une alliance européenne pour les véhicules connectés et autonomes pour harmoniser les efforts et standardiser les composants logiciels et matériels.
- La mobilité propre : bien que la commission garde les objectifs initiaux, elle annonce revoir les règles concernant les normes d’émission plus tôt que prévu. Elle prévoit aussi de stimuler la vente de véhicules électriques (avec par exemple le leasing social) et de décarboner les véhicules d’entreprise qui représentent 60 % des nouvelles immatriculations.
- Compétitivité et Résilience des chaînes d’Approvisionnement : création d’un fonds de soutien de 1,8 milliard pour instaurer une chaîne d’approvisionnement sûre et compétitive pour les matières premières des batteries.
- Compétences et Dimension Sociale : Un ajustement du Fonds Européen d’Adaptation à la Mondialisation (EGF) pour une aide plus rapide et élargie aux travailleurs menacés.
- Conditions Équitables et Environnement des Affaires : la Commission s’engage à « garantir des conditions de concurrence équitables » à travers des mesures anti-subventions et des accords de libre-échange en mentionnant l’alignement avec un partenaire privilégié comme l’Inde.
Dans un papier du 4/3, le site Eurointelligence livre une analyse sans concession de ce plan et de l’extension de la période de conformité pour les nouvelles règles. Cette position assouplie pourrait même annoncer des reculs comme sur l’interdiction des moteurs à combustion interne en 2035 (cf. EIH 19/5/22), qui déjà fait l’objet d’un âpre lobbying de part et d’autre. Parmi les options de révision, certaines technologies comme les voitures hybrides rechargeables, ou l’hydrogène pourraient être prises en considération.
Le problème de l’industrie automobile est que son poids économique et politique la rend peu souple. Quand ils ne trichent pas (cf. le dieselgate en 2015), les constructeurs résistent par l’inertie : ils eu ont un certain temps pour se conformer à cette mesure, mais beaucoup semblent avoir rechigné à trouver des solutions viables et équitables, alors que les autres investissaient dans l’électrique.
Mais même « too big to fail », cela ne suffit pas à sortir de l’impasse à laquelle est confrontée l’industrie européenne, surclassée, principalement par les constructeurs automobiles chinois, qui peuvent mettre sur le marché des voitures électriques et des véhicules hybrides rechargeables souvent meilleurs et moins chers. Comme le souligne Eurointelligence, lorsqu’un secteur est trop grand pour faire faillite, “la solution n’est pas de le subventionner pour le préserver. Il s’agit plutôt de le diversifier”.
La solution est d’abord politique.