Défenses aériennes

Défenses aériennes

13 October 2025 Off By EG

Ah si seulement on pouvait faire des Airbus partout… Airbus illustre la capacité des Européens à coordonner recherche, innovation, financement et production, malgré des cultures et systèmes industriels différents. Comme le programme Erasmus, la firme d’aéronautique née en 1970 pour concurrencer les géants américains du secteur offre un modèle de coopération européenne que toutes les institutions, comme les décideurs, rêvent de dupliquer et d’appliquer – en particulier aux projets militaires. Or justement, en matière militaire les obstacles politiques sont beaucoup plus difficiles à surmonter : souveraineté technologique, interopérabilité, champions nationaux, les résistances sont structurelles.  

Pour tenter de relancer une coopération à la peine, Paris et Berlin ont donc, fin août 2025 remis sur la table une idée clivante pour relancer l’Europe de la défense : une « politique du meilleur athlète ». Dans un contexte de réarmement accéléré et de menaces multiples, l’objectif affiché est de réduire la fragmentation des équipements, concentrer les commandes sur les acteurs capables de livrer vite et à grande échelle, et consolider une base industrielle qui peine à rivaliser avec les États‑Unis – autant de recommandations tirées des rapports Letta et Draghi (ES 11/11/24).

Dans une longue interview au journal conservateur allemand, la FAZ , le 1er octobre, le président Macron reconnaissait que l’Europe a sous-estimé la Russie et souligne l’urgence de renforcer la dissuasion nucléaire française et la défense européenne. Il insistait aussi sur le rôle central du couple franco-allemand pour la paix, la prospérité et la souveraineté stratégique. Défendant ainsi la coopération industrielle et militaire européenne, évoquant le FCAS et le MGCS, et plaide pour l’autonomie stratégique, notamment vis-à-vis des États-Unis. Macron mettait aussi en garde contre les cyberattaques et l’influence russe sur les démocraties européennes, et appellait à des sanctions renforcées et un soutien coordonné à l’Ukraine pour garantir la sécurité du continent. 

Au menu des discussions du Conseil franco‑allemand sur la sécurité et la défense: la gouvernance des grands programmes (FCAS/SCAF pour l’aviation de combat, MGCS pour les chars) et l’éventuelle extension de la dissuasion française au reste de l’UE. 

Dans cette optique, une stratégie européenne à l’horizon 2030 se dessine autour de quelques axes : Rationaliser les familles d’équipements et standardiser davantage (logique « meilleur athlète »), pour baisser les coûts et accroître l’interopérabilité. Sauver et stabiliser les programmes structurants : FCAS, MGCS. Protéger la souveraineté technologique (capteurs, moteurs, guerre électronique, logiciels) et réduire les dépendances extrarégionales. Et prévoir des filets de sécurité capacitaires : upgrades des flottes actuelles (Rafale, Eurofighter) et intégration de briques 6e génération par paliers. 

Le problème, c’est que le « meilleur athlète » ne fait pas disparaître d’un coup les querelles de gouvernance. Le FCAS, projet emblématique censé livrer une 6e génération d’avion de combat, est de nouveau au bord de la rupture. Dassault (France) et Airbus Defence (Allemagne) et Indra Sistemas (Espagne) doivent collaborer conjointement mais les deux premiers s’opposent sur le pilotage du projet. Dassault revendique un leadership fort sur le projet, mais Airbus refuse qu’un seul industriel capte l’essentiel des tâches alors que le financement est tripartite (France, Allemagne, Espagne). Une lettre du ministère allemand de la Défense au Bundestag reproche même à la partie française de vouloir « s’approprier » le programme, bloquant la contractualisation de la prochaine phase. 

Aux problèmes des egos industriels, s’ajoutent surtout des divergences opérationnelles: la France exige que l’avion soit apte aux opérations sur porte‑avions et au port de la composante nucléaire – exigences qui ne concernent ni l’Allemagne ni l’Espagne. Le résultat est un blocage qui met en jeu bien plus qu’un partage de travail : la crédibilité même de l’autonomie stratégique européenne. Face à l’enlisement du projet d’avion franco-allemand, Berlin explore des scénarios « plan B » si Dassault maintenait sa revendication d’environ 80 % des tâches dans le pilier avion : Remplacer la France par un autre partenaire (Royaume‑Uni, Suède) ou poursuivre avec l’Espagne en excluant Paris. Cependant, la fenêtre pour rejoindre en acteur de premier rang le programme concurrent GCAP (Royaume‑Uni, Italie, Japon) se referme : la répartition industrielle y est déjà très avancée et une participation pleine à la conception devient improbable. À cela s’ajoute une difficulté politique : plus l’Europe externalise ses programmes structurants, plus la question de la souveraineté – et des dépendances extra‑européennes, ici jusqu’au Japon – se tend. 

Si le FCAS tombe,  à court et moyen termes, Paris prolongerait la vie du Rafale par des évolutions profondes (nouvelles tranches, senseurs, connectivité), tout en s’attaquant à la question de la future arme nucléaire ASN4G et de la remotorisation (piste M88 « T‑Rex »).

Côté allemand, l’atterrissage serait plus incertain : Airbus, Hensoldt ou MTU devraient clarifier leur trajectoire entre prolongation de l’Eurofighter, achats américains (F‑35 déjà commandé) et coopération partielle sur GCAP, sans garantie d’un rôle de premier plan. Pendant que les négociations patinent, l’écosystème technologique, lui, continue d’avancer – bon indicateur de ce que pourrait être la « 6e génération » par incréments. 

Les essais d’un radar AESA MK1 (E‑Scan) d’Airbus sur un A320 de recherche du DLR en sont l’exemple même. Cet A320 a été équipé d’un nez d’Eurofighter, car son autonomie — environ deux fois supérieure à celle d’un chasseur — permet aux équipes d’essais de collecter les données de vol du radar deux fois plus vite.  

À terme, ce radar doit équiper les Eurofighter espagnols (Halcón I) et allemands (Quadriga), renforcer leurs capacités air‑air/air‑sol et de guerre électronique. Autrement dit, même si l’architecture FCAS patine, certaines briques clefs (capteurs, EW, connectivité) progressent et irriguent déjà les flottes actuelles – un atout si l’on choisit une montée en maturité progressive vers la 6e génération. 

Il reste une possibilité de relancer le projet de FCAS : en clarifiant le leadership par piliers, en sécurisant la part de chacun et en jalonnant la feuille de route jusqu’au démonstrateur, avec un verrou politique fort. C’est le sens du « c’est l’État qui paie, donc l’État décide ». C’est aux gouvernements d’imposer la coopération à leurs champions nationaux.

Faute de quoi, la « politique du meilleur athlète » risque de virer à la politique du moindre mal : prolonger l’existant, acheter à l’extérieur et repousser l’autonomie stratégique à plus tard.