BLUE MONDAY

BLUE MONDAY

20 January 2025 0 By EG

Entre mĂ©tĂ©o, moral Ă  plat et comptes en berne au retour des fĂŞtes, le Blue Monday est censĂ© dĂ©signer le “jour le plus dĂ©primant de l’annĂ©e”. MĂŞme s’il s’agit d’un concept marketing un peu fumeux, ce “lundi bleu” du 20 janvier, jour d’inauguration de Donald Trump de retour Ă  la Maison Blanche, sera pour une grande moitiĂ© des États-Unis certainement dĂ©primant. Il sera d’un bleu très foncĂ© mĂŞme pour les EuropĂ©ens aux prises avec la nouvelle rĂ©alitĂ© gĂ©opolitique d’une relation transatlantique plus tendue que jamais.

D. Trump ne traite pas l’Europe en alliée, il considère l’UE en ennemie et ses États membres en vassaux. Il est très significatif que les premiers coups délivrés par son administration en construction aient été majoritairement dirigés contre l’UE. En particulier ses réglementations à portée mondiale, comme les normes imposées aux entreprises de technologie.

Le ralliement des Big Tech Ă  la candidature nationaliste de Trump (cf. EIH 6/1/25) ne peut pas ĂŞtre uniquement liĂ©e Ă  la conversion “antiwoke” et viriliste des nerds prems’ de classe de la Silicon Valley.Les considĂ©rations Ă©conomiques et les coĂ»ts induits par les exigences de fact-checking ou de lutte contre la haine en ligne se mĂŞlent Ă©videmment au bras de fer gĂ©opolitique ouvert par Elon Musk. Dans cette lutte de souverainetĂ© entre les deux rives de l’Atlantique, seuls quelques leaders europĂ©ens semblent avoir pris la mesure.

Il est ironique de voir les principaux hĂ©rauts du souverainisme en Europe, de Nigel Farage Ă  Eric Zemmour en passant par les figures du PiS polonais ou le Premier Ministre hongrois, se prĂ©cipiter pour rendre hommage Ă  un pouvoir qui n’affiche que mĂ©pris pour la souverainetĂ© des autres. MĂŞme quand ce sont ses alliĂ©s.

La fascination des extrĂŞmes-droites europĂ©ennes pour un nouvel impĂ©rialisme occidental sous domination amĂ©ricaine rappelle les contradictions des mouvements nationalistes europĂ©ens d’une autre Ă©poque. L’inquiĂ©tude est de mise, 4 ans après l’assaut du Capitole.

Si les rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques ont dĂ©montrĂ© que les processus de marchĂ© Ă©taient insuffisants pour rĂ©guler efficacement l’économie numĂ©rique, le choix des lĂ©gislateurs europĂ©ens a Ă©tĂ© de s’élever au-delĂ  de la seule logique de concurrence praticable pour aller vers une concurrence plus Ă©quitable et transparente. Ces choix Ă©minemment politiques ont menĂ© Ă  l’adoption du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA) en mars 2022 (cf. EIH 20/01/2022 et 10/09/2023).

Face à l’hostilité et aux provocations stratégiques des figures emblématiques de la tech américaine, notamment Elon Musk et Mark Zuckerberg, leur résistance active pose une question fondamentale : l’Europe est-elle en mesure de faire respecter son cadre réglementaire face à ces mastodontes du numérique ?

Elon Musk, depuis le rachat de Twitter (X), a multiplié les provocations à l’égard de l’UE, notamment en refusant d’appliquer les obligations imposées par le DSA.

La Commission europĂ©enne a rĂ©cemment annoncĂ© un approfondissement de son enquĂŞte contre X, après que Musk a laissĂ© prolifĂ©rer des contenus problĂ©matiques sur sa plateforme et a dĂ©fiĂ© les règles europĂ©ennes en place.

Cette résistance met en lumière la difficulté pour l’UE d’imposer des sanctions efficaces contre les acteurs outre-Atlantique, confrontée à la territorialité juridique de ses propres dispositions.

Par ailleurs, Musk a Ă©galement Ă©tĂ© accusĂ© d’une potentielle interfĂ©rence dans les Ă©lections, en Allemagne ou au Royaume-Uni, en facilitant la diffusion de dĂ©sinformations et en permettant une amplification algorithmique de contenus politisĂ©s en faveur de ses prĂ©fĂ©rences. Les plateformes amĂ©ricaines deviennent des vecteurs d’influence Ă©lectorale, soulevant des questions sur l’efficacitĂ© du cadre rĂ©glementaire europĂ©en, et de la fragilitĂ© de la transparence du processus dĂ©mocratique.

La rĂ©sistance Ă  la rĂ©gulation europĂ©enne ne se limite pas Ă  Musk. Mark Zuckerberg, patron de Meta, a rĂ©cemment cherchĂ© Ă  influencer les dĂ©cideurs politiques amĂ©ricains pour limiter la pression rĂ©glementaire exercĂ©e par l’UE sur les entreprises technologiques amĂ©ricaines. Dans une initiative discrète, il aurait sollicitĂ© l’aide de Donald Trump pour freiner les rĂ©gulations et limiter les amendes imposĂ©es par Bruxelles aux gĂ©ants de la tech. Cet activisme politique illustre une tendance oĂą les entreprises de la tech ne se contentent plus d’opposer des arguments juridiques. Ils cherchent activement Ă  influencer les politiques internationales pour protĂ©ger leurs intĂ©rĂŞts.

Dans un long thread, l’historien de la dĂ©sinformation David Colon dĂ©veloppe les rĂ©sultats d’une enquĂŞte qui prouve que META aurait touchĂ© plus de 300.000€ du rĂ©seau de dĂ©sinformation russe Doppelgänger, malgrĂ© les sanctions de l’UE. DĂ©faut de vigilance ou double jeu du gĂ©ant de la Tech? Il faudra Ă©videmment une enquĂŞte pour le prouver et faire appliquer la lĂ©gislation europĂ©enne.

L’UE pourrait se retrouver affaiblie si elle ne renforce pas ses mĂ©canismes d’application du DSA. Face aux provocations des Big Tech l’UE poursuivra-t-elle X ou Meta devant les tribunaux pour manquements la lĂ©gislation europĂ©enne? Le DSA prĂ©voit des sanctions sĂ©vères : en cas de non-conformitĂ©, les entreprises risquent des amendes pouvant aller jusqu’Ă  6 % de leur chiffre d’affaires annuel mondial. Et l’accès aux plateformes pourrait ĂŞtre restreint dans l’UE en cas de rĂ©cidive.

MalgrĂ© les enquĂŞtes ouvertes et les menaces de sanctions, l’Europe semble peiner Ă  faire respecter ses rĂ©gulations. La Commission a rĂ©cemment intensifiĂ© sa surveillance de X, mais cette annonce intervient après plusieurs mois de non-conformitĂ© manifeste, laissant Musk libre d’agir Ă  sa guise en Europe. Cette lenteur administrative contraste avec l’agilitĂ© des entreprises technologiques, qui adaptent rapidement leurs stratĂ©gies pour Ă©chapper aux contraintes rĂ©glementaires. Cela s’ajoute Ă  l’influence politique exercĂ©e par les États-Unis.

Il ne suffit pas de prévoir des sanctions, il faut être capable de les faire appliquer. Une réponse tardive, comme dans le cas de Musk, ne fera que renforcer la perception d’une Europe incapable d’imposer son cadre juridique aux géants du numérique. La lenteur administrative de Bruxelles serait-elle révélatrice d’un manque d’efficience de son droit dérivé voire d’une faiblesse structurelle ?

D’après le site Contexte, Henna Virkkunen vice-prĂ©sidente exĂ©cutive de la Commission chargĂ©e de la tech et des mĂ©dias “a reconnu les limites du règlement sur les services numĂ©riques (DSA) pour protĂ©ger les Ă©lections nationales”. Les raisons de cette inefficacitĂ© sont multiples, et ne se limitent pas aux pressions gĂ©opolitiques. On peut notamment mentionner les divergences d’interprĂ©tation entre les États membres, ou la faiblesse des moyens des agences nationales de rĂ©gulation. Un problème soulignĂ© par l’Agence des droits fondamentaux dès l’étĂ© dernier.

Le crash-test de la capacitĂ© de l’UE Ă  se faire respecter a commencĂ© et l’un des anciens artisans de cette rĂ©sistance, T. Breton, monte au crĂ©neau.